Mettre le doigt sur la plaie, c’est déjà prêter le flanc à toutes les accusations, à toutes les diffamations ; éviter de jeter de l’huile sur le feu, c’est se voir soupçonné de baliser le...
Actualités - OPINION
De Michel Chiha à nos jours Quatrième pouvoir
Par Nagib AOUN, le 27 août 2007 à 00h00
Dur, dur d’être journaliste dans un pays en crise, dans un pays divisé, pulvérisé ; ardue, bien ardue est la mission d’informer dans un pays qui perd la raison, qui court au suicide.
Mettre le doigt sur la plaie, c’est déjà prêter le flanc à toutes les accusations, à toutes les diffamations ; éviter de jeter de l’huile sur le feu, c’est se voir soupçonné de baliser le chemin menant aux compromissions. Un jour loué pour avoir clamé une vérité convenant à une partie déterminée, le lendemain critiqué pour avoir émis une opinion défavorable à cette même partie, le journaliste dérange, désarçonne, mais il fait tout simplement son boulot, celui pour lequel il a consacré sa vie.
Un exercice périlleux dans un champ semé de mines, une éthique défendue bec et ongles, un sacerdoce qui conduit souvent au martyre. Gebran et Samir ne sont plus là pour nous le rappeler, mais ils sont devenus notre mémoire, un incitatif à davantage de persévérance, à un combat incessant pour la liberté d’expression. Pressions, menaces, désinformation de discoureurs en mal de popularité, rien n’y fera : la presse, quelle qu’elle soit, à quelque bord qu’elle appartienne, continuera à véhiculer l’information, celle qui réveille les consciences, celle qui permet de sauvegarder l’esprit critique que nos bonzes politiques s’escriment à vouloir neutraliser, mettre en sommeil.
La dernière, vous la connaissez ? Pour désopilante qu’elle soit, elle n’en est pas moins tragique : les mêmes bonzes se sont mis en tête d’apprendre leur métier aux journalistes, de leur enseigner le b.a.-ba de leur profession : quelle information relativiser, quelle autre monter en épingle. Faute d’avoir compris, ils se font alors sévèrement taper sur les doigts, sont pointés d’une main accusatrice, d’un poing rageur.
Après avoir descendu en flammes les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, voilà maintenant qu’ils s’en prennent à leur bête noire, au quatrième pouvoir, le seul de la région à avoir conquis, haut la main, ses lettres de noblesse.
L’Homo politicus, ne l’oublions pas, a, évidemment, toujours raison et ses propos sont paroles d’Évangile.
Que les journalistes ne s’avisent surtout pas de laisser entendre qu’il pourrait avoir tort, que finalement tout n’est pas noir et blanc, que les nuances existent, que le vert, l’orange, le bleu ou le jaune, par exemple, en sont le reflet coloré. L’Homo politicus entrerait alors dans une sainte colère, les traiterait de vendus, de menteurs récidivistes.
Les débats télévisés, les articles de presse, les lettres d’opinion dans les journaux, tout cela est de l’intoxication, une campagne délibérée pour abrutir le citoyen, l’empêcher de parvenir à une saine réflexion, celle dont les chefs ont l’apanage. Les fans, eux, boivent du petit lait : plus leurs idoles en rajoutent, plus ils s’extasient ; plus elles hurlent et vocifèrent, plus ils entrent en transe.
Mais tout cela, cher lecteur, a bien un nom, si je ne m’abuse ? Vous avez tapé dans le mille : cela a pour nom populisme et c’est le terreau de toutes les dérives, de toutes les catastrophes. L’histoire en a été, au fil des siècles, l’impuissant témoin, le bien triste chroniqueur.
Les citoyens sont-ils donc de simples pions, l’ont-ils toujours été et sont-ils condamnés à l’être jusqu’à la fin des temps ? Des pions sur un échiquier fabriqué sur mesure, un damier qui se métamorphose au gré des intérêts des uns et des autres ?
L’issue est presque toujours la même : échec et mat, une fatalité que les adversaires locaux n’arrêtent pas de servir aux acteurs régionaux sur des plateaux d’argent, se bousculant, d’un même élan, au même portillon, celui des servitudes gratuites, des vassalités transmises de génération en génération. Une nation sacrifiée sur l’autel des rancunes, des ambitions personnelles, un peuple privé de son droit le plus élémentaire, celui de contester, d’exiger des explications, de sanctionner.
Le dernier rempart reste la société civile ; son essence, sa quintessence même, est la presse libre dans toutes ses composantes, dans toutes ses tendances, dans toutes ses différences, la garantie que le Liban ne perdra pas son âme dans l’autoritarisme, que le sens critique survivra à la déliquescence générale.
Aux encenseurs comme aux contempteurs, à tous ceux qui se disent jaloux de la liberté d’expression, mais qui font tout pour l’anéantir, un rappel pour conclure : le combat de L’Orient-Le Jour a toujours été, est et sera celui de la souveraineté et de l’indépendance, celui de l’État de droit et des institutions hors duquel tout est chaos et perdition.
Une constante qui a animé, des décennies durant, le grand penseur qu’était Michel Chiha, dans ses écrits comme dans son action, un esprit, une référence auxquels notre journal, le vôtre, n’arrêtera jamais de rester fidèle.
Nagib AOUN
Dur, dur d’être journaliste dans un pays en crise, dans un pays divisé, pulvérisé ; ardue, bien ardue est la mission d’informer dans un pays qui perd la raison, qui court au suicide.
Mettre le doigt sur la plaie, c’est déjà prêter le flanc à toutes les accusations, à toutes les diffamations ; éviter de jeter de l’huile sur le feu, c’est se voir soupçonné de baliser le...
Mettre le doigt sur la plaie, c’est déjà prêter le flanc à toutes les accusations, à toutes les diffamations ; éviter de jeter de l’huile sur le feu, c’est se voir soupçonné de baliser le...
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