C’est ce gâteau improbable, cheval de bataille des pâtisseries de quartier. Deux cercles spongieux de génoise brune fourrés d’une chantilly trop blanche où nage en apnée profonde le contenu d’une boîte de fruits au sirop. Raisin obèse, ananas fibreux, cerises caoutchouteuses, poires grumeleuses, pêches douteuses, OGM avant l’heure, autant pour la couleur. Une fois la pièce...
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IMPRESSION Fôret noire
Par Fifi ABOU DIB, le 25 août 2007 à 00h00
C’est ce gâteau improbable, cheval de bataille des pâtisseries de quartier. Deux cercles spongieux de génoise brune fourrés d’une chantilly trop blanche où nage en apnée profonde le contenu d’une boîte de fruits au sirop. Raisin obèse, ananas fibreux, cerises caoutchouteuses, poires grumeleuses, pêches douteuses, OGM avant l’heure, autant pour la couleur. Une fois la pièce montée, une dernière pelletée de crème cimentera la structure qu’une pluie de chocolat en copeaux ou en vermicelles achèvera d’unifier. Décorez encore de chantilly, alternez en bordure quelques moitiés de fraises et des rondelles de kiwi ramollies, voilà, c’est prêt.
L’histoire n’a pas retenu le nom du pâtissier qui introduisit ce monstre dans nos mœurs gastronomiques. Il a dû sévir à Beyrouth en même temps que les inventeurs du canapé au concombre, vers la fin des années 50. Le canapé au concombre, voilà bien une tempête dans le plateau de kebbé et d’épinards en chaussons ! L’avènement de l’inodore dans l’oignon frit, de l’insipide dans le piment d’Alep, du mou dans le corsé, de l’Angleterre dans le folklore, petit doigt levé à l’heure du thé. Depuis ce temps perplexe, le canapé a connu d’infinies variations et le pain de mie n’a même pas dit son dernier mot. Quant au gâteau, Beyrouth en a fait son fleuron, comptant parmi ses artisans les meilleurs pâtissiers du monde. Pour autant, ces derniers auront beau explorer les faces cachées du pain d’Espagne, ils ne viendront jamais à bout de la Forêt noire (devenue Forêt-noir, n.m. syn .de gâteau). Que dis-je, forêt ! Le marronnier des anniversaires cache une jungle, une mangrove de feuillus indéracinables, témoins réguliers de toutes les fêtes à peu de frais, notamment celles où chacun doit apporter son écot (vos albums en font foi !). Fatalement, quelqu’un arrivera avec la grosse boîte, si grosse que la bête déborde de l’emballage savamment scotché sur le bord du bord pour ne pas noyer le vermicelle dans sa chantilly. Fatalement vous aurez, par anticipation, un goût de poire blette et de beurre rance.
La Forêt noire est pour moi un double souvenir de lecture. Le hasard a fait que j’ai lu l’un à la suite de l’autre deux romans écrits à plusieurs années d’intervalle. Dans Le sieur Dieu (2000), Franz-Olivier Giesbert attribue une odeur de « poire blette et de beurre rance » à un inquisiteur particulièrement sadique. J’ai retrouvé cette évocation dans Les sœurs de Prague (2006) de Jérôme Garcin, où le narrateur perçoit dans la cuisine de son appartement abandonné ce même relent de « poire blette et de beurre rance ». Les deux auteurs ont en commun de collaborer au Nouvel Observateur. J’ignore ce que l’on sert à la cantine du Nouvel Obs. Pour moi, « Poire blette et beurre rance », c’est désespérément Forêt noire. On a les madeleines qu’on peut.
Fifi ABOU DIB
C’est ce gâteau improbable, cheval de bataille des pâtisseries de quartier. Deux cercles spongieux de génoise brune fourrés d’une chantilly trop blanche où nage en apnée profonde le contenu d’une boîte de fruits au sirop. Raisin obèse, ananas fibreux, cerises caoutchouteuses, poires grumeleuses, pêches douteuses, OGM avant l’heure, autant pour la couleur. Une fois la pièce...
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