Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Petit guide d’implosion Lélia MEZHER

Petit guide pour faire imploser tout un pays : miser d’abord sur des différences dites de classe. Investir un centre-ville construit par les autres – les capitalistes sauvages – aux dépens des moins nantis. Installer des tentes au milieu des restaurants chics et des boîtes de nuit à la mode. Faire croire à la grande partie des Libanais qui vit sous le seuil de pauvreté que ces tentes correspondent à une cause, leur cause. Détruire quelques panneaux de signalisation, des plans du centre-ville, symboles d’une ville trop clinquante pour ceux qui s’en croient exclus. Symboles d’une ville trop belle pour ceux qui ont décidé de s’en exclure délibérément en se faisant passer pour les porte-drapeaux des laissés-pour-compte de toute une société. Puis tirer profit, jusqu’aux confins du possible, du pouvoir inespéré des médias. Abreuver chômeurs, retraités, ménagères et femmes au foyer d’informations qui ne se situent plus qu’à la limite de la vérité. Prendre conscience de l’impact de ces médias en gardant à l’esprit que l’audiovisuel, tout comme la presse écrite, est incontestablement un quatrième pouvoir, dans un pays ou les trois autres sont paralysés depuis bien trop longtemps. Voilà comment procéder pour qu’un pays arrive au bord de l’implosion. En bunkerisant des régions entières, sous prétexte que des responsables politiques y vivent. En plantant les photos de ces responsables dans leurs zones d’influence respectives pour que toute personne étrangère sente immédiatement qu’elle est sur le territoire de tel ou tel zaïm, ou minizaïm. En bâtissant enfin des frontières psychiques à l’intérieur de l’inconscient des gens. En leur inculquant une xénophobie méticuleusement calculée pour que désormais, chacune des 18 communautés de ce pays ait la nette impression qu’elle est en passe de se faire phagocyter par l’autre. Pour y parvenir, il faudra bannir toute voix modérée, tout intellectuel qui tente de remettre en question le climat manichéen qui a pris le pays en otage. Il faudra opérer une chasse aux modérés en ne leur donnant que très peu voix au chapitre. Il faudra aussi – délibérément – faire l’impasse sur des exemples réels de coexistence et d’interactions entre communautés et religions différentes, que le hasard de la conjoncture régionale et internationale a placées aujourd’hui dans des camps politiques opposés. Fédéralisme des esprits : les leaders auront beau brandir l’épouvantail du fédéralisme politique, de ses dangers et de ses dérives, ils refuseront jusqu’au bout de voir ce qui est, le partage des couleurs a servi de prélude aux divisions des esprits. Les lignes de démarcation de l’inconscient sont mille fois plus dangereuses que celles, pourtant plus matérielles, du fédéralisme politique. C’est contre ce fléau qui touche tous les jours encore plus de gens, encore plus de Libanais, que devra œuvrer le très improbable futur président de la République. Contre la peur sournoise et l’autoprotection tous azimuts qui s’installent dans les esprits sans crier gare pour avoir trop été véhiculées par les responsables de tous bords. Contre cette interdiction subliminale de vivre ensemble, et pas seulement de coexister.
Petit guide pour faire imploser tout un pays : miser d’abord sur des différences dites de classe.
Investir un centre-ville construit par les autres – les capitalistes sauvages – aux dépens des moins nantis. Installer des tentes au milieu des restaurants chics et des boîtes de nuit à la mode. Faire croire à la grande partie des Libanais qui vit sous le seuil de pauvreté que ces tentes...