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PERSPECTIVE Otage de ses alliances Michel TOUMA

Le scrutin partiel du Metn continuera sans doute de faire couler beaucoup d’encre. Et pour cause : ce fut l’une des rares fois dans l’histoire contemporaine du Liban (avec le précédent de 2002) où cette élection n’avait pas un simple enjeu politicien et clientéliste. L’enjeu a revêtu en effet (une fois n’est pas coutume) un caractère fondamentalement national et stratégique. Il ne serait pas inutile de rappeler sur ce plan, encore une fois – pour qui ne fait pas l’effort de comprendre – qu’il ne s’agissait pas tant d’élire un député que d’opérer un choix politique – au sens large du terme – entre deux projets diamétralement opposés : d’une part, celui du 14 Mars, axé sur la consolidation des acquis souverainistes de la révolution du Cèdre, avec l’appui du Conseil de sécurité, des États-Unis, de la France et de l’Union européenne, par le biais de l’application de toutes les résolutions onusiennes sur le Liban (notamment la 1701) ; et d’autre part, celui du 8 Mars dont l’objectif déclaré est de provoquer aussi bien l’effondrement de l’édifice politico-étatique mis en place après l’intifada de l’indépendance que l’éclatement de la coalition du 14 Mars, afin d’« infliger une défaite » aux États-Unis sur la scène libanaise, comme l’a déclaré l’imam Khamenei, de manière à replacer le Liban dans l’orbite irano-syrienne. Un tel enjeu au niveau du choix politique a été clairement défini par les alliés du général Michel Aoun, notamment par le Parti syrien national social, le Hezbollah et même l’ancien chef du Baas prosyrien, Assem Kanso. Le général Aoun avait lui-même fixé, d’emblée, la barre très haut en affirmant qu’il ferait chuter le cabinet Siniora au Metn. Pour le chef du CPL, il s’agissait aussi, implicitement, de jauger à travers les urnes l’impact sur le plan populaire de son alliance avec le Hezbollah et de son alignement objectif, et de facto, sur l’axe syro-iranien. Car certains députés et responsables aounistes auront beau le nier, la réalité – amère – est bel et bien là. Depuis près d’un an et demi, le général Aoun partage les mêmes slogans que le régime syrien et œuvre concrètement à la réalisation des objectifs définis par le pouvoir en place à Damas, à savoir : l’avilissement systématique et continu du Premier ministre Fouad Siniora et des composantes du 14 Mars (en incluant une tentative de banaliser les assassinats politiques) ; l’affirmation répétée que la majorité n’est que fictive ; les critiques contre la politique américaine au Liban ; la mobilisation de tous les moyens sur le terrain afin de tenter de provoquer la chute du cabinet Siniora (et à travers lui l’édifice de la révolution du Cèdre) ; l’allégation selon laquelle un « mandat international » (entendre celui de l’ONU et de l’Occident) a remplacé le mandat syrien, lequel n’était, selon le général Aoun, qu’« une pure façade à la tutelle américaine » ! Il suffit d’établir une simple comparaison entre les déclarations des dirigeants syriens et celles du chef du CPL, ces derniers mois, pour relever une effroyable similitude au niveau du discours et des thèmes évoqués. C’est un tel déviationnisme qu’un grand nombre d’académiciens, d’universitaires, d’intellectuels et de journalistes, jadis tous très proches du général Aoun, ont dénoncé à plusieurs occasions. Et cette attitude de critique constructive a été complétée et couronnée par le vote de contestation du 5 août qui s’est traduit par un très net recul, par rapport à 2005, des suffrages obtenus par le courant aouniste dans la quasi-totalité des localités, villages et agglomérations du Metn. Le changement de cap auquel s’est ainsi livré le général Aoun ne saurait être justifié en avançant les reproches que l’on pourrait faire à Walid Joumblatt en rouvrant les plaies de la guerre de la Montagne ou à Samir Geagea du fait d’un passé milicien à jamais révolu. On ne construit pas le futur en vivant éternellement dans le passé, surtout lorsque les parties auxquelles les faits sont reprochés ont rectifié le tir en s’engageant résolument sur la voie du processus souverainiste et de l’édification d’un État rassembleur et équilibré. Le changement de cap ne saurait être également justifié en affirmant vouloir faire obstacle aux velléités attribuées au Courant du futur d’imposer son hégémonie sur l’appareil de l’État. Car sur ce plan, le Hezbollah constitue, sans aucun doute possible, une menace encore plus grande du fait de sa doctrine, de son projet politique supranational, des gigantesques moyens dont il dispose, de ses liens organiques, structurels, idéologiques, financiers, militaires et logistiques avec la République islamique iranienne, de son obstination à s’ériger en État dans l’État, ou de sa propension à véhiculer une culture de vie (ou plutôt une culture de mort) aux antipodes de la vocation et de la raison d’être historiques du Liban. Les critiques que l’on peut faire à l’équipe au pouvoir depuis la révolution du Cèdre sont, certes, en partie fondées. Mais elles ne sauraient en aucun cas servir de prétexte pour contribuer à la réalisation des objectifs, par essence antisouverainistes, recherchés par l’axe syro-iranien. C’est là tout le reproche qu’une large fraction de l’élite intellectuelle et de l’électorat du Metn ont fait au général Aoun. Et c’est ce même problème qui se pose au niveau de la direction du parti Tachnag à qui l’on pourrait reprocher non pas d’avoir canalisé ses voix en faveur d’un candidat plutôt qu’un autre – là n’est pas le problème – mais de s’être engagée sur une voie contraire, objectivement, aux options souverainistes et à la ligne de conduite historique du Tachnag, en réaction à la grave erreur commise par le Courant du futur lorsqu’il a entrepris, dès le début des années 90, de vouloir marginaliser un parti qui représente – et c’est là une réalité indéniable – l’écrasante majorité de l’opinion publique arménienne. Mais les préjudices causés par cette grossière erreur ne sauraient justifier une ligne de conduite allant à l’encontre de l’esprit de la révolution du Cèdre. Dans ce contexte, le vote de contestation du 5 août a pour effet que le courant aouniste est désormais l’otage du PSNS (notamment) au Metn, avec tout ce qu’une telle donne entraîne comme conséquences politiques. Parallèlement, ce clair désaveu chrétien à l’égard des alliances et de la ligne de conduite du général Aoun, tel qu’il s’est manifesté au Metn, devrait également être perceptible, en toute logique, dans d’autres régions chrétiennes. De sorte que le CPL, s’il ne rectifie pas le tir, risque fort bien de se retrouver aussi otage du vote chiite – plus précisément du Hezbollah – à Baabda (dans la circonscription de Baabda-Aley), à Jbeil (Kesrouan-Jbeil), et à Zahlé. Il est permis par conséquent de s’interroger sur la marge de manœuvre dont le courant aouniste continuerait alors de bénéficier dans ses rapports avec un parti idéologique qui jouit de puissants moyens d’action face auxquels le CPL ne saurait faire le poids. Le général Aoun reproche aux fractions chrétiennes du 14 Mars de n’être pas en mesure de s’imposer face à leurs alliés politiques. Mais le CPL pourra-t-il le faire lui-même maintenant qu’il est devenu l’otage du Hezbollah et des alliés de Damas dans toutes les circonscriptions où il est solidement implanté ? Autant de questions et de constatations qui devraient fournir matière à réflexion. Et c’est aux députés et responsables du courant aouniste d’engager un vrai débat ouvert sur les leçons du scrutin du Metn afin d’en tirer les conclusions qui s’imposent.
Le scrutin partiel du Metn continuera sans doute de faire couler beaucoup d’encre. Et pour cause : ce fut l’une des rares fois dans l’histoire contemporaine du Liban (avec le précédent de 2002) où cette élection n’avait pas un simple enjeu politicien et clientéliste. L’enjeu a revêtu en effet (une fois n’est pas coutume) un caractère fondamentalement national et stratégique....