Actualités - OPINION
Le Point Bazar libyen
Par MERVILLE Christian, le 26 juillet 2007 à 00h00
Mars 2005, à l’occasion d’un voyage à Rabat. Autopropulsé à la tête de l’UMP, Nicolas Sarkozy commence à mettre les bouchées doubles. Sa célèbre confidence – « la présidence, j’y pense et pas seulement en me rasant »… – lors de l’émission télévisée Cent minutes pour convaincre remonte au mois de novembre 2003. Vingt-six mois plus tard, rares sont ceux qui s’en souviennent encore. Lui se voit déjà à l’Élysée et, dans la capitale marocaine, que fait-il ? Il rêve, tirée la leçon de l’échec du processus de Barcelone, d’« un Marché commun de la Méditerranée » dont prendrait la tête la France. Changement de décor, d’époque. On est à Toulon, dans la première semaine de février 2007. Pressé, comme toujours, et donc en avance sur tout le monde, le candidat à la présidentielle en est à définir les contours de sa grande idée. « Ce qui a été fait pour l’union de l’Europe il y a soixante ans, nous allons le faire aujourd’hui », lance-t-il devant un auditoire médusé, venu écouter un discours sur l’état de la France. Mais alors, ce n’est plus l’homme qui veut réveiller la Belle au Bois dormant française de son sommeil séculaire, ce n’est même plus « Sarko l’Africain » ? Bien sûr que si, mais rejoint par Sarko le Méditerranéen.
C’est dans ce cadre général qu’il convient d’inscrire la démarche du chef de l’État, la double visite en quelques jours, à Tripoli, de son épouse Cécilia ainsi que sa présence, l’espace de vingt-quatre heures depuis hier, dans la capitale libyenne. Un retour, en fait, puisque son premier contact avec ce pays remonte au 6 octobre 2006, alors qu’il était ministre de l’Intérieur, et que, comment l’oublier, il y avait été précédé, dès novembre 2004, par Jacques Chirac, au lendemain de la normalisation des relations entre les deux pays. Hier mercredi, il s’agissait d’aider la Libye à réintégrer le concert des nations, un processus entamé, quelques mois auparavant, avec l’accord sur l’indemnisation des familles des victimes du DC10 d’UTA en 1989 au-dessus du Ténéré nigérien. Dix mois plus tôt, l’embargo décrété par l’ONU avait été levé et le colonel Mouammar Kadhafi – faisant à cet égard preuve de beaucoup plus de sagesse que Saddam Hussein – décidait de renoncer aux armes de destruction massive.
Maintenant que le dernier obstacle, représenté par l’affaire des infirmières bulgares et du médecin palestinien, est levé, il reste pour la France à recueillir les dividendes d’un engagement sur la voie de la normalisation qui aura pris de longues années. Au plan bilatéral, la Libye possède d’énormes potentialités. Ses réserves de pétrole sont estimées à 36 milliards de barils, soit le quadruple de celles de l’Algérie, et les champs passent pour y être aussi facilement accessibles que ceux de l’Arabie saoudite. Cela sans parler des gisements gaziers et miniers qui restent à exploiter. Depuis le lancement d’un vaste plan de privatisation, il existe 375 sociétés qui ne demandent qu’à passer en des mains étrangères. Dans le domaine bancaire, les Français, depuis longtemps à l’affût, ont déjà enlevé, à travers BNP Paribas, l’appel d’offres portant sur près de 20 pour cent du capital de la Sahara Bank, en attendant d’autres marchés tout aussi juteux. Exploration de 41 blocs gaziers, recherches dans le nucléaire civil, modernisation des chasseurs-bombardiers Mirage F1, mise en place d’un réseau de surveillance des frontières, construction de centrales nucléaires : on trouve de tout, ou presque, dans le panier des « ménagères » occidentales qui se bousculent aux portes du marché libyen, en ces heures de shopping planétaire.
Parallèlement aux contrats en vue, ou bien se trouvant à un stade avancé, il y a le grand dessein du nouveau président français, celui d’un vaste regroupement des États de la Mare Nostrum au sein duquel on reprendrait les principaux pays membres de l’UE ainsi qu’une douzaine de pays méditerranéens (ceux du Machreq comme ceux du Maghreb, Israël, Malte, Chypre, l’Autorité palestinienne, probablement aussi le Liban), la Turquie étant appelée à jouer le rôle de « pivot » de cette union. Un tel ensemble se doterait d’institutions communes, et pour commencer d’une banque copiée sur le modèle de la BEI, en vue de promouvoir le développement, un système de partenariat, enfin des organismes de lutte contre l’immigration clandestine et le terrorisme.
Dire que l’idée ne soulève pas un enthousiasme délirant serait une litote. Mais la tiédeur de ses pairs n’est pas de nature à rebuter Nicolas Sarkozy. Aurait-il donc lu Le Rivage des Syrtes, ce lieu devenu depuis la résidence du « Akh Mouammar » ? Il devrait se souvenir alors qu’Aldo, le héros du livre de Julien Gracq, se retrouve comme seul avec ses rêves, invité à aller jusqu’au bout, face à l’imaginaire et insaisissable Farghestan. Alors même que l’histoire s’apprête à se remettre en marche.
Christian MERVILLE
Mars 2005, à l’occasion d’un voyage à Rabat. Autopropulsé à la tête de l’UMP, Nicolas Sarkozy commence à mettre les bouchées doubles. Sa célèbre confidence – « la présidence, j’y pense et pas seulement en me rasant »… – lors de l’émission télévisée Cent minutes pour convaincre remonte au mois de novembre 2003. Vingt-six mois plus tard, rares sont ceux qui s’en souviennent encore. Lui se voit déjà à l’Élysée et, dans la capitale marocaine, que fait-il ? Il rêve, tirée la leçon de l’échec du processus de Barcelone, d’« un Marché commun de la Méditerranée » dont prendrait la tête la France. Changement de décor, d’époque. On est à Toulon, dans la première semaine de février 2007. Pressé, comme toujours, et donc en avance sur tout le monde, le candidat à la présidentielle en est...