Actualités - OPINION
LE POINT Démolaïcité Christian MERVILLE
Par MERVILLE Christian, le 01 mai 2007 à 00h00
« Certains n’exigent-ils pas une nouvelle définition de la laïcité ? Ceux-là n’occupent-ils pas les plus hautes charges ? L’idéologie prônée par Atatürk n’est-elle pas attaquée ? Une réponse affirmative à l’une seulement de ces questions signifierait que la Turquie est menacée par le fondamentalisme islamique. » Auteur de ces propos, tenus dans le cadre d’un discours devant les cadets de l’Académie de guerre, le 2 octobre dernier, le général Yasar Büyükanit est loin d’être un mollasson. Le chef d’état-major passe plutôt, aux yeux de ses pairs, pour un faucon qui n’a pas l’habitude de mâcher ses mots. Aussi, ses quatre petites phrases ont-elles résonné comme une salve d’avertissements, la première d’une série poursuivie vendredi dernier avec l’attaque, en termes très durs, lancée contre le gouvernement, accusé de ne pas défendre les principes laïcs. Le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan a beau défendre sa gestion des affaires publiques, faisant valoir notamment qu’il se démarque de la mouvance extrémiste de son prédécesseur (et mentor) Necmettin Erbakan et qu’en cinq ans, la croissance économique a été spectaculaire, il ne parvient pas à apaiser le courroux d’une armée qui veille jalousement sur l’héritage du Père de la nation.
L’Occident, lui, se trouve confronté à un terrible dilemme : comment concilier la nécessité d’un strict respect des règles démocratiques, ce qui signifierait le maintien en place du présent cabinet et l’élection d’ici à une semaine d’Abdallah Gül à la tête de l’État, et dans le même temps éviter de voir le pays pencher dangereusement du côté d’un fondamentalisme qui réduirait à zéro ses chances d’accéder au Club des Vingt-Cinq et multiplierait par cent celles de voir d’autres États de la région rattrapés eux aussi par la contagion. Autre problème pour les pseudodéfenseurs occidentaux des valeurs dites républicaines : comment revendiquer pour le Parti de la justice et du développement ce qu’on continue de dénier au Hamas palestinien, issu tout comme lui d’une consultation populaire parfaitement régulière ? Tour à tour, le vice-président de la Commission européenne Guenter Verheugen, l’envoyé spécial de l’UE Hanjoerg Kretschmer, et le porte-parole à l’Élargissement Olli Rehm ont rappelé que l’armée ne devait pas s’occuper de politique. Hier, le ministre français des Affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy, conseillait « à nos amis turcs de pousser le processus constitutionnel (et donc l’élection présidentielle) jusqu’au bout », tout en rappelant « le souci du respect de la laïcité ». Les bonnes âmes devraient tout de même faire, à l’intention d’Ankara, une démonstration pratique de cette manière encore inédite de ménager la chèvre démocratique et le chou séculier.
Toutes ces considérations de pure forme n’interdisent pas de se poser une question, encore une : l’armée peut-elle s’arroger le droit d’interférer dans la vie politique avec le risque, pour peu qu’elle en soit empêchée, de voir balayés les acquis de 1925 ? Par quatre fois en quarante-sept ans – en 1960, 1971, 1980 et 1997 –, les militaires sont intervenus pour remettre le train de l’État sur ses rails kémalistes. À l’issue de chacune de leurs interventions, ils regagnaient sagement leurs casernes, en prenant soin toutefois de garder l’œil sur le tableau d’aiguillage, histoire de veiller au respect de l’héritage de Mustapha Kemal, lequel voulait, disait-il, « libérer la religion du rôle d’instrument politique », cet objectif faisant partie des célèbres « six flèches » d’une réforme basée sur la « laikdik », mot dérivé de la « laïcité » chère à l’Europe.
Certains jugeront excessives, déplacées peut-être, les craintes des galonnés, qui préfèrent prévenir plutôt que guérir, échaudés qu’ils sont par l’expérience iranienne. En 1979, avait récemment expliqué l’un d’entre eux à Zeyno Baran du Hudson Institute, quand les fidèles du chah réalisèrent enfin le danger du khomeinisme, il était trop tard pour réagir. L’Iran justement. Dans les allées du pouvoir washingtonien, des voix se font entendre pour souligner la nécessité d’une Turquie capable de faire contrepoids, aussi loin qu’aux confins de l’Afghanistan d’un côté, au cœur du Proche-Orient d’un autre côté, à l’influence de Téhéran. Mais alors, de même qu’il n’est pas possible, suivant le dicton anglo-saxon, de « manger son cake et de le garder », on ne saurait reprocher aux généraux un excès d’orthodoxie politique et défendre le renoncement, à plus ou moins brève échéance, à tout ce qui, au fil de plus de huit décennies, a fait la Turquie moderne.
Peut-être, après tout, conviendrait-il de laisser l’ancien homme malade de l’Europe achever sa convalescence. En espérant que le retour à la santé s’effectuera par le biais du Conseil constitutionnel ou sous le bénéfique effet de la force exhibée pour n’avoir pas à s’en servir.
« Certains n’exigent-ils pas une nouvelle définition de la laïcité ? Ceux-là n’occupent-ils pas les plus hautes charges ? L’idéologie prônée par Atatürk n’est-elle pas attaquée ? Une réponse affirmative à l’une seulement de ces questions signifierait que la Turquie est menacée par le fondamentalisme islamique. » Auteur de ces propos, tenus dans le cadre d’un discours devant les cadets de l’Académie de guerre, le 2 octobre dernier, le général Yasar Büyükanit est loin d’être un mollasson. Le chef d’état-major passe plutôt, aux yeux de ses pairs, pour un faucon qui n’a pas l’habitude de mâcher ses mots. Aussi, ses quatre petites phrases ont-elles résonné comme une salve d’avertissements, la première d’une série poursuivie vendredi dernier avec l’attaque, en termes très durs, lancée...