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Actualités - OPINION

Le Point Exception française Christian MERVILLE

Arrêtons de rêver : vous et moi savons très bien que si cette bonne vieille Terre poursuit cahin-caha son bonhomme de chemin, ce n’est certes pas par la grâce des promesses des candidats qui se bousculent périodiquement au portillon électoral. Ce qui n’a jamais empêché le citoyen lambda d’accomplir ce que, contre vents et marées, il continue de considérer comme son devoir. Une manière comme une autre de sacrifier à la déesse Démocratie quitte, le moment venu, à rejeter sur l’objet de son choix la responsabilité des malheurs qui se sont abattus sur lui. Pourquoi pas, après tout, si les deux parties, semble-t-il, trouvent leur compte dans ce marché des dupes ? Contentons-nous donc de ce qui nous est offert puisque, en guise de consolation, chacun est censé répéter, comme le photographe de la pièce de Cocteau Les mariés de la tour Eiffel : « Puisque ces mystères me dépassent, feignons d’en être l’organisateur. » On s’y attendait sans trop oser y croire : la grand-messe de dimanche aura largement tenu ses promesses, avec un taux de participation record, alors que la veille, les sondeurs nous annonçaient un taux de 40 pour cent d’indécis. Près de quinze millions de Français ne sachant pas, théoriquement, pour qui voter, cela fait beaucoup de monde, mais qui se sont résolus à franchir le pas, avec beaucoup de conviction, à défaut d’enthousiasme. Et dans l’explosion de joie qui a accompagné, au siège du Parti socialiste, 10 rue de Solferino, l’annonce sur les chaînes de télévision de la première projection, il faut voir comme un soulagement, une exorcisation du funeste 21 avril 2 002. À la vérité, nul n’attendait de cette journée le sacre de l’un des deux « majors », pas plus que la concrétisation de « l’effet Bayrou » des premiers jours de la campagne. De sorte que, le soir venu, on en était déjà à courtiser l’outsider béarnais, nécessaire allié lors de la finale. Écoutez le sarkozyste ministre de l’Emploi et de la Cohésion sociale,Jean-Louis Borloo, jugeant « indispensable » une présence « massive » de ministres UDF dans le gouvernement à venir. Alors que, plus brutal, François Coppé s’adressait aux électeurs et non pas au président de cette formation, pas même aux députés. À l’autre bout de l’échiquier, Arnaud Montebourg se plaisait à évoquer des points de convergence entre socialistes et centristes, François Hollande, lui, ne se privant pas de parler de la nécessité de « rassembler large » (suivez son regard…). Impitoyable arithmétique électorale ! Il est évident qu’avec un taux de 31,18 pour cent pour Nicolas Sarkozy, de 25,87 pour cent pour Ségolène Royal, la victoire ne sera possible, le 6 mai prochain, que grâce à des soutiens extérieurs. Avec l’apport promis dès hier par les petits candidats de gauche, la présidente de la région Poitou-Charentes n’est pas loin d’avoir fait le plein de voix, soit un total de 36,44 pour cent. En ajoutant les suffrages d’une partie des rescapés de l’aventure bayrouenne, on demeure assez éloigné des chiffres du héros de la droite, lequel récupérera indifféremment des centristes et des lepénistes. Un examen attentif des résultats du premier tour est de nature à doucher quelque peu le discret triomphalisme de l’un – même s’il est l’incontestable vainqueur du premier round – et la fausse sérénité de l’autre – même si elle peut s’estimer victorieuse du seul fait qu’elle a passé l’indispensable premier cap –. Ainsi, les socialistes ne l’ont emporté qu’en Bretagne, sans compter bien entendu leurs fiefs du Sud-Ouest, Sarkozy enlevant pour sa part le Nord, l’Est, la Côte d’Azur, la région Rhône-Alpes et la Provence. Les optimistes irréductibles devraient se rendre à l’évidence : les embrassades entre Neuilly-sur-Seine et Clichy-sous-Bois ne sont pas pour demain. De fait, avant-hier, rien ou presque ne donnait l’impression d’avoir changé puisque l’écart de 5,31 pour cent enregistré reflète de façon sensible la marge des consultations précédentes. Si rien n’est encore joué, l’un des rares éléments notables reste le laminage du Front national, usé tout comme son chef par l’âge autant que par les effets pervers d’une OPA éhontée sur ses idées. L’autre fait marquant est représenté par l’émergence d’une nouvelle classe de politiciens – on n’ose parler de nouvel esprit – qui ne veut rien devoir à personne, pas plus aux éléphants qu’aux caciques. Sarkozy, Royal appartiennent à une génération de « tueurs » que rien ne saurait arrêter. Elle n’hésite pas à s’identifier au pays – « J’ai besoin de vous parce que la France a besoin de vous », dit-elle. Ce n’est plus Jeanne d’Arc mais Marianne, se voyant bientôt en buste dans les mairies. Lui, gaullien, est certain que « la France se donnera à celui qui en a le plus envie ». Comprendre lui. Entre les deux, le cœur ne balance pas ; il est coupé : un ventricule droit, un ventricule gauche. Aussi creux l’un que l’autre. Trop tard pour une battue politique ; mais il est où le troisième homme ?
Arrêtons de rêver : vous et moi savons très bien que si cette bonne vieille Terre poursuit cahin-caha son bonhomme de chemin, ce n’est certes pas par la grâce des promesses des candidats qui se bousculent périodiquement au portillon électoral. Ce qui n’a jamais empêché le citoyen lambda d’accomplir ce que, contre vents et marées, il continue de considérer comme son devoir. Une manière comme une autre de sacrifier à la déesse Démocratie quitte, le moment venu, à rejeter sur l’objet de son choix la responsabilité des malheurs qui se sont abattus sur lui. Pourquoi pas, après tout, si les deux parties, semble-t-il, trouvent leur compte dans ce marché des dupes ? Contentons-nous donc de ce qui nous est offert puisque, en guise de consolation, chacun est censé répéter, comme le photographe de la pièce de Cocteau...