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Actualités - OPINION

LE POINT Monsieur France Christian MERVILLE

Il n’était pas facile d’être la France en ces années de tous les doutes, à cheval entre deux siècles, quand d’un bout à l’autre de notre pitoyable univers tout vacillait, au gré des humeurs et des fortunes. Mieux que les juges d’un jour, l’histoire, cet impitoyable censeur, saura dire plus tard ce que furent ces douze années où certains auront eu l’impression que rien ne bougeait, alors que le monde était pris dans un maelström sans précédent peut-être depuis le Big Bang. Tout de même, l’homme qui vient de choisir de tirer sa révérence avec l’élégance qui sied à pareille décision, peu de ses prédécesseurs auront su comme lui incarner ce cher et vieux pays. Quarante ans d’exercice du pouvoir, soit dix-huit années à la tête de la mairie de la capitale, deux gouvernements, un septennat suivi d’un quinquennat, cela marque une époque, les Français, et bien évidemment le plus illustre d’entre eux. Pour le meilleur, même si certains en doutent ; pour le pire aussi, avec toutes les réserves qui s’imposent. Jamais peut-être, tout au long d’une carrière qui n’en finissait pas de rebondir, Jacques Chirac n’aura été autant lui-même qu’en ce dimanche soir où, digne, ému et émouvant dans sa pudeur, il a choisi de tomber le masque pour se présenter tel que rares parmi ses plus intimes savent qu’il est. Homme de cœur, ô combien ; homme de raison aussi, amoureux de son pays et si proche non seulement de ses concitoyens mais aussi de tous ceux qui partagent avec lui une certaine idée de notre monde tel qu’il est aujourd’hui, tel qu’il devrait être demain. Ce qu’il restera des douze années écoulées ? Pas grand-chose, se sont dépêchés de décréter, sentencieux, les analystes de l’heure. Facile, trop facile. On pourrait évoquer, pour leur répondre, les ombres de ces géants qui avaient cru apposer leur sceau à l’époque qui fut la leur et dont, une tranche de siècle ou quelques décennies plus tard, on ne retient que le nom. Si tant de ses prédécesseurs se sont échinés à vouloir modifier les mentalités et le cours des choses sans y parvenir, ou bien avec un succès tout provisoire, c’est que l’entreprise est ardue, impossible peut-être. À tout le moins auront-ils eu le mérite de l’avoir tenté, ce qui déjà est énorme. L’image qui revient le plus souvent, en ces derniers jours de règne, dans la bouche des hommes politiques et sous la plume des commentateurs pour dépeindre le chef de l’État français, est celle d’une girouette. Un qualificatif que l’intéressé pourrait récuser en citant un grand nom de la IVe République, Edgar Faure, qui rétorquait – la répartie est célèbre – que ce serait plutôt le vent qui change. À tout le moins cette apparente versatilité lui aura-t-elle permis de justifier ses choix et, malicieux pied de nez à la célébrité, de masquer certains traits de sa personnalité : une vaste culture incluant un net penchant pour les arts premiers, la stigmatisation de toute forme de libéralisme exagéré, le rejet de l’extrémisme et de l’antisémitisme, enfin cette ouverture sur l’autre qui s’inscrit dans le droit fil de la tradition révolutionnaire de 1789. Car il ne faut pas s’y tromper : ce président volontiers dépeint comme un leader de droite n’a jamais cessé d’avoir le cœur, sinon la raison, à gauche. Il l’a prouvé dans son opposition à la désastreuse campagne d’Irak, dans ses efforts pour réconcilier la nation avec son histoire, dans sa condamnation des multiples injustices faites aux peuples opprimés, dont les Palestiniens. Comment, dans ce cadre, omettre d’évoquer tout ce qu’il n’a cessé de faire pour contribuer à hâter la convalescence du Liban et l’aider à exorciser des démons hélas trop nombreux ? Sa prestation lors de ce véritable « Téléthon » que fut la conférence de Paris III demeure un modèle de ce que l’amitié poussée à son plus haut point s’estime en devoir d’accomplir. Et c’est bien vrai que dans les moments les plus cruciaux, Chirac, au mieux de sa forme, n’aura jamais cessé d’être gaullien autant que le De Gaulle du lendemain du raid israélien sur l’aéroport de Beyrouth, quand il décréta un embargo sur les armes destinées à un peuple qu’il avait qualifié, treize mois plus tôt, de « dominateur ». Cela mérite d’être dit et redit, quand bien même certains feignent de l’ignorer. Aujourd’hui, une certaine gauche caviar, l’œil rivé sur l’Élysée, déplore « le temps perdu » (la formule malencontreuse est de Dominique Strauss-Kahn), alors qu’avec le fils prodigue (rebelle ?), une incertaine droite se montre impatiente de tourner une page, qui représente en fait un chapitre entier. Pendant qu’un pays, un peuple se préparent déjà à regretter un passé tout proche avant même de savoir ce que l’avenir immédiat lui réservera au lendemain du 16 mai.
Il n’était pas facile d’être la France en ces années de tous les doutes, à cheval entre deux siècles, quand d’un bout à l’autre de notre pitoyable univers tout vacillait, au gré des humeurs et des fortunes. Mieux que les juges d’un jour, l’histoire, cet impitoyable censeur, saura dire plus tard ce que furent ces douze années où certains auront eu l’impression que rien ne bougeait, alors que le monde était pris dans un maelström sans précédent peut-être depuis le Big Bang. Tout de même, l’homme qui vient de choisir de tirer sa révérence avec l’élégance qui sied à pareille décision, peu de ses prédécesseurs auront su comme lui incarner ce cher et vieux pays. Quarante ans d’exercice du pouvoir, soit dix-huit années à la tête de la mairie de la capitale, deux gouvernements, un septennat suivi...