Annoncée à la une d’as-Safir le 8 novembre dernier, la nouvelle fait les conversations du microcosme intellectuel depuis l’été. Et c’est peu dire. Un chercheur français qui suit de près les débats libanais apostrophait l’autre jour l’un de ses amis : « À vous entendre, on se demande qu’est-ce qui est vraiment...
Actualités - CHRONOLOGIE
Le retour du Jedi Samir KASSIR
Par KASSIR Samir , le 26 février 2007 à 00h00
«Joseph Samaha est rentré chez lui, au Safir. » Talal Salmane n’a pas eu besoin de chercher longtemps la formule adéquate pour présenter à ses lecteurs le nouveau directeur adjoint de la rédaction. Pour tous ceux qui connaissent l’histoire de ce journal, la phrase sonne comme une évidence, tant le nom de Samaha est lié à l’histoire de ce journal où il s’est formé, qu’il a quitté, retrouvé, quitté, encore retrouvé, et dont il n’arrivera peut-être jamais à se dépendre.
Annoncée à la une d’as-Safir le 8 novembre dernier, la nouvelle fait les conversations du microcosme intellectuel depuis l’été. Et c’est peu dire. Un chercheur français qui suit de près les débats libanais apostrophait l’autre jour l’un de ses amis : « À vous entendre, on se demande qu’est-ce qui est vraiment l’événement : la controverse sur la présidentielle ou le retour de Joseph Samaha au Safir ? » La réponse est moins évidente qu’il n’y paraît.
Au-delà de l’histoire un peu passionnelle qui lie Samaha au Safir, ce retour révèle, en effet, quelque chose de la crise d’identité de cette intelligentsia naguère proche du Mouvement national et laissée comme à l’abandon par les démissions de la gauche libanaise devant le retour des tribus confessionnelles et la confiscation de son autonomie par les tuteurs d’à côté. En ce sens, explique un des amis de Samaha, ce n’est peut-être pas lui qui revient au Safir, mais as-Safir qui revient à lui.
Ancien militant de l’Organisation d’action communiste au Liban (OACL), Joseph Samaha est entré en journalisme en 1973, par la presse de combat, avec al-Hurriya, l’hebdomadaire que le mouvement partageait avec le FDLP. Mais c’est au Safir, où il fait partie de l’équipe des fondateurs en 1974, qu’il va faire ses classes. Après deux années passées entre les deux publications, il devient en 1976 chef du service local du quotidien. Il est dès lors l’étoile montante de la presse de gauche. Quand le Mouvement national songe, en 1978, à lancer son propre journal, al-Watan, pour retrouver une nouvelle jeunesse, c’est à Samaha, qui n’a pas encore trente ans, que sera confiée la rédaction en chef. Mais, malgré tous les efforts, le Mouvement national est bien en panne. Retour au Safir donc, l’année suivante, après l’arrêt d’al-Watan. Pas pour longtemps. Écœuré par sa propre famille politique et un instant séduit avec son (ancien) ami Samir Frangié par le projet de reconstruire un vrai parti socialiste autour de Walid Joumblatt – entre-temps, il a été exclu de l’OACL –, avant d’être déçu par les dérives confessionnelles du chef druze, il lance en novembre 1980 un véritable pavé dans la mare avec une série d’articles écrits au lance-flammes : « Mouvement national ou confédération des patriotes des communautés ? » Et sans attendre la réponse qu’il connaît déjà, il s’en va à Paris terminer un DESS en sciences politiques. De nouveau as-Safir en 1981 et jusqu’en 1984. Dans l’intervalle, il y a eu l’invasion israélienne et l’élection de Béchir Gemayel à la présidence. Samaha est de ceux qui acceptent de discuter avec le chef de guerre devenu chef d’État. Dialogue sans complaisance. Et sans lendemain pour la raison qu’on sait. Mais Samaha en gardera des relations d’estime mutuelle avec Karim Pakradouni et Joseph Abi Khalil. En 1983, il est aussi de ceux qui s’intéressent à la personnalité de Samir Geagea dont il fait la connaissance pendant la guerre de la Montagne. Jugement accablant.
Février 1984 : Amal prend le contrôle de Beyrouth-Ouest. Conscient qu’il n’y a plus, et pour longtemps, de place pour l’homme de gauche qu’il est resté, il s’en va de nouveau quelques semaines plus tard. Direction Paris où il arrive à point nommé pour prendre en main l’hebdomadaire al-Yawm as-Sabeh (Le septième jour) que lance l’ancien rédacteur en chef palestinien d’as-Safir, Bilal al-Hassan. Il y restera jusqu’à l’arrêt de la parution, occasionnée par la guerre du Golfe, en 1990. Pendant ces sept années, Joseph Samaha a connu le grand large. Ses horizons s’ouvrent. Car ce boulimique de travail n’est pas du genre à se replier sur la petite tribu des journalistes arabes. Paris, il en profite pleinement, surtout en matière de cinéma et de lecture. Capable d’éplucher, crayon à la main, quatorze livres sur la perestroïka, parce qu’il a un article à préparer, il se tient au courant de tous les débats qui agitent l’Occident en ces années de transition, mais n’oublie pas pour autant les problèmes arabes et s’intéresse de près à la société israélienne. Fruit de cette soif de savoir, et du savoir-faire qui va avec, sa réputation de journaliste éclairé et pointu touche la plupart des pays arabes, où al-Yawm as-Sabeh s’impose par son sérieux et son inventivité comme l’une des expériences les plus réussies de la presse panarabe.
Mais le prix à payer est lourd : le journal est proche de l’OLP au moment où les relations syro-palestiniennes sont au plus bas, et les articles au vitriol de Samaha contre Nabih Berry et la confiscation de la résistance, contre la guerre des camps, contre Élie Hobeika n’arrangent pas les choses. Il doit se résigner à ne pas retrouver le Liban, même pour enterrer sa mère. Après la fin d’al-Yawm as-Sabeh, il galère quelques mois (qu’il occupe quand même à faire une newsletter stratégique, Issues, qui devient vite une référence) avant qu’al-Hayat choisisse d’en faire l’un de ses éditorialistes. « Si je vous prends, lui dit Jihad el-Khazen, le directeur du journal londonien, c’est pour avoir la paix. Je ne veux plus que, tous les jours, vos amis dans ce journal me cassent les oreilles en me disant que je ne peux pas ne pas vous avoir dans ma rédaction. » Mais malgré les conditions relativement confortables qui lui sont faites – il reste basé à Paris et écrit quand bon lui semble –, et malgré les nombreuses amitiés qu’il a dans l’équipe, Samaha paraît un peu contrarié. Al-Hayat, prosaoudien, ce n’est pas son univers, même s’il y compte de nombreuses amitiés. Déjà, quand Jamil Mroué l’avait approché en 1988 au moment où il avait relancé le titre hérité de son père, Samaha avait finalement renâclé. Alors, à plus forte raison, après la guerre du Golfe et le départ des Mroué, évincés par leur partenaire, le prince-général Khaled ben Sultan. Si cette sorte de rétention d’enthousiasme ne l’empêche pas d’élargir son audience dans le monde arabe, il paraît comme en attente. Commence donc inévitablement à se poser la question du retour.
Grâce à quelques bons offices, Joseph Samaha effectue une première visite à Beyrouth, en 1993. Il en profite pour se mettre d’accord avec Dar an-Nahar pour la publication d’un livre sur l’après-paix. Ce sera Paix passagère. Pour une solution arabe de la question juive. Le sous-titre et le texte lui-même en disent long sur ce qu’il aura acquis au cours de ses années parisiennes : une sensibilité aux débats d’idées qui secouent le monde, de l’Allemagne au Japon, et aux analyses stratégiques, et surtout une attention permanente aux rapports de l’Occident à la question juive. Pamphlet nerveux où il parle moins de la paix que du discours sur la paix, Paix passagère est probablement le premier livre édité en arabe qui parle du génocide hitlérien sans réserve et sans arrière-pensées. Pour autant, Samaha est loin de souscrire à la mode du pacifisme. S’il admet sans barguigner qu’il n’est pas de solution militaire au conflit israélo-arabe, il appelle à un redressement des Arabes. « C’est tout Samaha, dit l’un de ses amis, Nasser + les juifs. » C’est une approche non moins originale qui commande son prochain livre sur les dérives du haririsme, exploré à partir d’un point de départ inattendu : les manquements de l’enquête sur la mort accidentelle de Maroun Baghdadi, dont il fut l’un des deux amis les plus proches.
Entre-temps, Samaha a recommencé à prendre goût à Beyrouth. Les garçons du café Rawda le savent bien : tous les quelques mois, ils peuvent voir s’entasser, autour de quelques tables, les premières du côté de l’entrée, une vingtaine d’hommes et de femmes. C’est un signe qui ne trompe pas, il signifie que oustaz Joseph, cet homme à la haute taille et au sourire triste, est chez eux. Car c’est aussi cela son bagage et son atout pour as-Safir de demain : un réseau d’amitiés très étendu, et pas seulement parmi les femmes, que sa mélancolie permanente et son air de cacher quelque blessure inguérissable fascinent souvent. De Mahmoud Darwiche à Ziad Rahbani, en passant par Fawaz Traboulsi, Maroun Baghdadi hier ou encore Hazem Saghié, une autre vedette d’al-Hayat pourtant aujourd’hui à des années-lumière de lui politiquement, mais qui reste son ami d’enfance, Joseph Samaha est de ceux qui attirent la fidélité. La fidélité, c’est aussi ce qui a ramené au bercail l’enfant terrible (…).
«Joseph Samaha est rentré chez lui, au Safir. » Talal Salmane n’a pas eu besoin de chercher longtemps la formule adéquate pour présenter à ses lecteurs le nouveau directeur adjoint de la rédaction. Pour tous ceux qui connaissent l’histoire de ce journal, la phrase sonne comme une évidence, tant le nom de Samaha est lié à l’histoire de ce journal où il s’est formé, qu’il a quitté, retrouvé, quitté, encore retrouvé, et dont il n’arrivera peut-être jamais à se dépendre.
Annoncée à la une d’as-Safir le 8 novembre dernier, la nouvelle fait les conversations du microcosme intellectuel depuis l’été. Et c’est peu dire. Un chercheur français qui suit de près les débats libanais apostrophait l’autre jour l’un de ses amis : « À vous entendre, on se demande qu’est-ce qui est vraiment...
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