Actualités - OPINION
LE POINT La troisième voie
Par MERVILLE Christian, le 30 novembre 2006 à 00h00
À croire que George W. Bush, avec l’interminable décompte des voix de la Floride lors d’une mémorable présidentielle, a fait école. On a vu ainsi l’inénarrable Silvio Berlusconi adopter cette étrange adaptation électorale du principe du « filibustering » pour continuer, aujourd’hui encore, à refuser d’admettre sa défaite face à Romano Prodi. Lequel, imperturbable, n’en gouverne pas moins l’Italie, malgré un long show de Sua Emitenzza qui dure depuis sept mois. Jusqu’au début de cette semaine, Alvaro Noboa, roi de la banane tenté par la vie publique, avait voulu s’essayer à son tour à ce périlleux exercice. Hier, les résultats officiels, portant sur 90 pour cent des suffrages, ont été rendus publics. Avec 3 243 026 voix, le nouveau président de l’Équateur est bien Rafael Correa qui, en pourcentage, distance son adversaire de quelque 15,76 points.
Étiqueté « candidat de gauche », proche de Hugo Chavez, antiaméricain, le chef de l’État aurait de quoi inquiéter très sérieusement l’Administration républicaine si le tableau avait été aussi nettement défini. Mais à y regarder de près, l’homme est loin d’être le bouffeur de Yankees que l’on décrit, le couteau entre les dents et l’œil couleur rouge sang. Cet économiste de 43 ans a décroché à l’Université de l’Illinois son titre de docteur, ce qui lui a permis l’an dernier de détenir brièvement (pour un total d’à peine cent jours) le portefeuille des Finances avant d’être renvoyé à ses chères études par le président Alfredo Palacios. Son erreur : avoir proposé de ne détourner qu’une partie seulement des revenus du pétrole pour honorer la dette extérieure du pays – une bien étrange suggestion, à la vérité, venant d’un économiste aussi éminent, censé ne rien ignorer du danger représenté par un éventuel manquement à la parole donnée. D’autant plus que Quito ne doit à la communauté internationale « que » la modique somme de 10,4 milliards de dollars, soit près de 26 pour cent de son produit intérieur brut. Tout de même, le risque aurait été grand de voir d’autre pays de la région suivre l’exemple.
« Ami » du président vénézuélien ? Oui, a souligné Correa lors de sa première apparition publique au soir de sa victoire, mais pas « client ». Et pourtant... La tentation est forte de s’engager sur la voie d’un net rapprochement, « parce qu’une nation qui dispose de réserves de l’ordre de 53 milliards de dollars provenant du pétrole, cela a de quoi vous laisser un tantinet rêveur », a-t-il lâché au détour d’une phrase.
Et puis, il y a cette sulfureuse réputation qu’il traîne, celle d’un ennemi irréductible de l’Oncle Sam, de ses pompes et de ses œuvres. Là encore, il convient de nuancer la couleur. Certes, la base américaine de Manta, sur la côte Pacifique, va être transformée en aéroport, mais ce ne sera pas avant l’an 2009, date d’expiration de l’accord passé avec Washington. D’ici là, les appareils de la DEA (Drug Enforcement Agency) pourront continuer à survoler l’ensemble de la zone pour détecter les mouvements des trafiquants de cocaïne. Signe rassurant : le nouveau chef de l’État a déjà rencontré l’ambassadeur américain pour, dit-on, tenter de gommer les aspérités qui ont caractérisé les rapports entre les deux pays, particulièrement depuis le début de l’année en cours.
En réalité, ce qui donne des cauchemars à l’Amérique bushienne, c’est l’éventualité d’une entente qui verrait le Vénézuélien Hugo Chavez, l’Équatorien Rafael Correa, probablement aussi le Sandiniste Daniel Ortega s’unir au Cubain Fidel Castro (ou à son successeur) pour former un « axe du mal » latino-américain, dont il est aisé d’imaginer l’influence sur des populations qui vivent dans le dénuement et ne rêvent que d’un Simon Bolivar des temps modernes. Dimanche prochain, une élection est appelée à se dérouler à Caracas, qui assurera à l’actuel président – c’est plus que probable – un nouveau mandat, de six ans cette fois. Le dernier sondage en date accorde en effet à l’impétueux colonel une majorité de 57 pour cent des voix contre seulement 38 pour cent à Manuel Rosales, alors que la marge qui les sépare devrait s’élargir dans les prochaines heures.
Dans l’hémisphère Sud du continent, le clan des durs se montre, pour l’heure, intraitable et tente de mobiliser les masses dans sa guerre contre la pauvreté, la corruption et... « la mainmise yankee sur les biens du peuple ». Mais en privé, les jusqu’au-boutistes laissent entendre à mots couverts qu’ils ne verraient pas d’inconvénient à mettre de l’eau dans leur vin, pourvu que l’autre partie y mette, de son côté, les formes. Il y aurait là l’ébauche d’une « troisième voie » qu’il ne faudrait pas s’en étonner, s’agissant d’une partie du monde qui nous a habitués à toutes les surprises – bonnes comme mauvaises.
Christian MERVILLE
À croire que George W. Bush, avec l’interminable décompte des voix de la Floride lors d’une mémorable présidentielle, a fait école. On a vu ainsi l’inénarrable Silvio Berlusconi adopter cette étrange adaptation électorale du principe du « filibustering » pour continuer, aujourd’hui encore, à refuser d’admettre sa défaite face à Romano Prodi. Lequel, imperturbable, n’en gouverne pas moins l’Italie, malgré un long show de Sua Emitenzza qui dure depuis sept mois. Jusqu’au début de cette semaine, Alvaro Noboa, roi de la banane tenté par la vie publique, avait voulu s’essayer à son tour à ce périlleux exercice. Hier, les résultats officiels, portant sur 90 pour cent des suffrages, ont été rendus publics. Avec 3 243 026 voix, le nouveau président de l’Équateur est bien Rafael Correa qui, en...