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Actualités - OPINION

LE POINT Le réveil chiite

Le titre de l’étude, « The Muslim World after 9/11 », annonçait déjà le programme. Ses auteurs se proposaient, disaient-ils, de « déterminer les principaux clivages sectaires, ethniques, régionaux, nationaux et examiner les occasions qu’ils présentent pour les États-Unis ». Le rapport avait été remis en son temps à l’armée de l’air américaine, qui l’avait réclamé, murmurait-on alors dans la capitale fédérale, à la demande du clan néoconservateur. Au nombre des recommandations qui y figurent, on peut relever celle-ci : les attentes des chiites en vue d’une participation plus large à la direction des affaires des pays où ils vivent offrent l’occasion à l’Amérique d’harmoniser sa politique avec les aspirations de cette communauté à une plus grande liberté en matière religieuse et politique. C’est dans cette optique, on le sait désormais, que s’est inscrite l’intervention d’avril 2003 et les premières mesures édictées par le « proconsul » J. Paul Bremer III. Avec les effets désastreux que l’on peut constater depuis et qui ne cessent d’aller crescendo. Certes, il y a eu après cela la guerre libano-israélienne de juillet-août dernier, mais il convient de remonter plus loin pour retrouver les racines de ce qu’il est convenu désormais d’appeler « le réveil chiite », dans une lointaine référence à l’ouvrage majeur de George Antonius, The Arab Awakening. Au commencement, et pour ne pas remonter trop loin dans l’histoire, était la création, en 1958, du parti irakien al-Da’wa de l’ayatollah Mohmammad Baker al-Sadr, bientôt suivi de celle du mouvement libanais Amal, de l’imam Moussa Sadr. Le retour triomphal à Téhéran de Khomeiny ne survenait que des années plus tard – le 1er février 1979. Toutefois, l’importance de cette date réside dans le fait qu’elle marque aussi le déclenchement d’une mobilisation sans précédent en vue de l’exportation de la révolution islamique. Dès lors, l’élan était imprimé, culminant le week-end dernier avec la victoire aux législatives de Bahreïn d’une opposition chiite qui aura réussi à rafler 16 (un chiffre qui pourrait passer à 17, samedi prochain) des 40 sièges, sans pour autant que, selon toutes les apparences, l’on soit certain que les choses en resteront là. Dans les grandes capitales, où l’on commence à sentir les premiers souffles de la tornade, on cherche à minimiser l’importance de l’événement en rappelant que c’est justice puisque soixante-quinze pour cent des 688 300 habitants de cet archipel de 689 kilomètres carrés sont chiites et que la découverte en 1931 du pétrole n’a joué qu’un rôle mineur tout au long de la campagne électorale. D’ailleurs, s’empresse-t-on d’ajouter, les revenus provenant de l’or noir ont été judicieusement utilisés pour financer des programmes de santé et d’éducation dont – cheikh Hamad ben Issa al-Khalifa y a veillé personnellement – tous les habitants ont profité. Dans leur aridité, les chiffres traduisent mal les réalités tangibles d’une situation plus complexe que jamais en raison de la menace de guerre civile qui plane sur « le pays de l’entre-deux-fleuves ». Les partisans de Ali ne forment qu’une minorité des 1,3 milliard de musulmans dans le monde ? Soit, mais leur présence dans le seul monde arabe est loin d’être négligeable. Et dans les zones pétrolifères, la proportion jouerait même en leur faveur. Ils ne sont majoritaires qu’en Irak et dans le royaume de Bahreïn ? Oui, mais voyez la marque de leur présence ailleurs : près du tiers au Liban, trente pour cent au Koweït, quinze à vingt pour cent en Afghanistan et autant au Pakistan, dix pour cent en Syrie, seulement cinq pour cent en Arabie saoudite, mais essentiellement autour des champs de pétrole... De quoi donner de sérieuses inquiétudes à un Parti républicain dont les caciques évoluent pour la plupart dans l’orbite des « majors » présents dans les capitales des États membres de l’OPEP. Face aux risques de déstabilisation qui menacent la région, des rumeurs avaient commencé à circuler il y a quelque temps, faisant état d’intentions américaines de mettre sur pied une coalition antichiite. Sans le formuler expressément, Condoleezza Rice avait évoqué cette idée lors d’une tournée régionale, en octobre de cette année, quand on avait cru voir prendre forme l’ébauche de ce que la secrétaire d’État avait baptisé du nom de « CCG+2 », soit les émirats membres du Conseil de coopération du Golfe auxquels viendraient s’ajouter l’Égypte et la Jordanie. Un moment mis en veilleuse, mais ce n’était qu’illusion, le projet a ressurgi il y a trois jours, quand Abdallah de Jordanie a évoqué, dans une interview à la chaîne de télévision ABC, la terreur que lui inspire la perspective de trois guerres civiles qui viendraient à embraser l’Irak, le Liban et les territoires palestiniens. Un travail de préparation soigné à quelques heures de l’arrivée à Amman de George W. Bush. Et une manière, d’une douteuse habileté, de détourner l’attention de la débâcle qui se précise sur les bords de l’Euphrate. Christian MERVILLE
Le titre de l’étude, « The Muslim World after 9/11 », annonçait déjà le programme. Ses auteurs se proposaient, disaient-ils, de « déterminer les principaux clivages sectaires, ethniques, régionaux, nationaux et examiner les occasions qu’ils présentent pour les États-Unis ». Le rapport avait été remis en son temps à l’armée de l’air américaine, qui l’avait réclamé, murmurait-on alors dans la capitale fédérale, à la demande du clan néoconservateur. Au nombre des recommandations qui y figurent, on peut relever celle-ci : les attentes des chiites en vue d’une participation plus large à la direction des affaires des pays où ils vivent offrent l’occasion à l’Amérique d’harmoniser sa politique avec les aspirations de cette communauté à une plus grande liberté en matière religieuse et politique....