Actualités - OPINION
LE POINT Dialogue armé en Somalie
Par MERVILLE Christian, le 16 novembre 2006 à 00h00
En Somalie, la charia c’est la charia : on la respecte ou alors on risque, au mieux, le fouet. C’est ainsi que dans la grande cité portuaire de Kismayo, vingt-deux personnes surprises en train de fumer vont être flagellées en public. Le qat aussi, rebaptisé ici miraa, n’a pas droit de cité. Pour l’exemple, et surtout parce tout régime qui se respecte se doit d’interdire quelque chose – simple affaire de manifestation d’autorité. Autant dire que les salles de cinéma ou de concert et même les magasins de photos sont strictement interdits, tout comme les librairies (lire ? Vous n’y pensez pas !) et les grands centres suspectés d’abriter d’éventuels meetings de groupes. Du coup, la Somali Tobacco Company a annoncé qu’elle serait disposée, pour peu qu’on lui en fasse la demande, à mettre le feu à ses stocks de « Super Match » – un excellent service qu’elle rendrait à la société civile tant ses cigarettes représente, dit-on, la meilleure arme pour les candidats au suicide.
Indépendante depuis le 1er juillet 1960, l’agonisante République de Somalie regroupant deux anciennes colonies britannique et italienne – alors que la partie anciennement française est devenue l’actuelle Djibouti – recherche désespérément un gouvernement. En quinze ans, soit après le renversement du président Mohammad Siad Barre, non moins de quatorze tentatives ont été initiées pour mettre sur pied une équipe capable de diriger les affaires du pays. Avec un succès que l’on pourrait qualifier de mitigé. La population a une fâcheuse tendance à se regrouper en formations armées, conformément à des allégeances claniques et à des alliances avec l’extérieur qui varient suivant les impératifs de l’heure. En janvier 2004, on recensait ainsi non moins de vingt-quatre milices qui font la loi, chacune sur son lopin de terre et au nom de principes qui ont fait à ce jour des dizaines de milliers de morts – les chiffres varient entre 350 000 et un million –, victimes principalement de la famine. Il y aurait, de plus, autant de personnes déplacées.
Une certitude : depuis 1994 et 1995, années qui ont marqué le retrait des marines d’abord, des Casques bleus onusiens ensuite, les analystes ne s’y retrouvent plus tant le patchwork est devenu plus embrouillé encore en raison des innombrables interventions de pays proches ou lointains. Actuellement, non moins de huit parties, s’estimant prenantes au conflit, ont été recensées. Citons pêle-mêle : l’Éthiopie, l’Érythrée, Djibouti, l’Égypte, la Libye, l’Arabie saoudite, le Yémen et l’Ouganda. Sans compter les centaines de mercenaires désargentés ou à la recherche de sensations fortes. La liste vient de s’enrichir encore de deux nouveaux noms, ceux de l’Iran et de la Syrie, pointés du doigt par un rapport commandé par l’ONU et qui doit être présenté demain à une commission du Conseil de sécurité. Ému devant la tournure prise par les événements, Kofi Annan a décidé mercredi de reprendre ses prédications dans le désert. Bien qu’en instance de départ, le secrétaire général de l’organisation internationale a exhorté le cabinet de transition et les tribunaux islamiques à reprendre leurs discussions de paix et les États limitrophes à cesser leurs immixtions « pour ne pas aggraver le problème ».
L’ombre d’équipe ministérielle présidée par Ali Mohammad Guedi, dont l’autorité ne dépasse pas les portes de la ville de Baïdoa, se débat actuellement dans des problèmes qu’elle serait bien incapable de régler sans une aide étrangère. Laquelle, pour le malheur de la population, prend les formes les plus diverses, souvent aussi les plus contradictoires. Le conflit cristallise autour de lui toutes les divergences inhérentes à cette partie du monde appelée la Corne de l’Afrique, dont Addis-Abeba et Asmara se disputent le leadership. Depuis que les États-Unis de George W. Bush ont renoncé à la stratégie, élaborée du temps de l’Administration clintonienne, dite des African New Leaders, l’ensemble de la région est plongé dans les brumes d’une politique qui a perdu toute consistance. La position de la Somalie, en bordure du golfe d’Aden et de l’océan Indien, ajoutée au fait que les richesses minières demeurent totalement inexploitées, constituent deux éléments ayant favorisé le réveil de toutes les convoitises. Le président érythréen Issaias Afeworki n’a pas tort de dénoncer les interventions intempestives de l’Amérique, « qui contribuent à l’instabilité et aux conflits ». Le problème est que Washington, en décrétant ex abrupto au lendemain du 11 septembre 2001, que Mogadiscio servait de repaire aux terroristes d’Oussama Ben Laden, a volontairement créé une situation qui échappe désormais à son contrôle. Jouer les apprentis-sorciers peut s’avérer lourd de conséquence en politique. Le continent noir est en train d’en faire l’expérience. Et les frais.
Christian MERVILLE
En Somalie, la charia c’est la charia : on la respecte ou alors on risque, au mieux, le fouet. C’est ainsi que dans la grande cité portuaire de Kismayo, vingt-deux personnes surprises en train de fumer vont être flagellées en public. Le qat aussi, rebaptisé ici miraa, n’a pas droit de cité. Pour l’exemple, et surtout parce tout régime qui se respecte se doit d’interdire quelque chose – simple affaire de manifestation d’autorité. Autant dire que les salles de cinéma ou de concert et même les magasins de photos sont strictement interdits, tout comme les librairies (lire ? Vous n’y pensez pas !) et les grands centres suspectés d’abriter d’éventuels meetings de groupes. Du coup, la Somali Tobacco Company a annoncé qu’elle serait disposée, pour peu qu’on lui en fasse la demande, à mettre le feu à ses...