Par Daoud SAYEGH Le seul aspect réconfortant de la dernière épreuve que les Libanais viennent de subir, avec la terrible guerre de juillet, est la clarté de l’enjeu. La vérité est là. L’avenir, lui, reste profondément sombre. Il n’est pas ainsi fastidieux d’emprunter les propos de Jeau-Paul II, dans son encyclique de 1993, pour nous nous inviter à voir la vérité en face : le Liban d’hier est-il encore viable ? Parce que la question qui se trouve posée n’est autre que la suivante : si une fraction de Libanais, en l’occurrence une des confessions parmi celles qui ont été à l’origine de l’émergence de l’entité libanaise, se trouve être la plus forte pour avoir résisté par les armes à Israël, et se comporter ainsi comme victorieuse, peut-elle encore se soumettre aux impératifs de l’équilibre intérieur ? Les idées de Michel Chiha, Charles Hélou, Takieddine el-Solh et autres théoriciens du pays refuge et de la fameuse « formule libanaise », sur laquelle des générations de Libanais ont assis leur engagement, leur attachement au Liban, sont-elles encore de mise lorsque l’entente intérieure est dominée par la raison du plus fort ? Ces appréhensions sont-elles fondées ? Elles le seront dans la mesure où les constantes essentielles sur lesquelles l’entente intérieure est basée se trouvent ébranlées, d’une façon ou d’une autre. Regardons les choses de plus près. À part l’arabité du Liban et la profonde conviction des Libanais qu’Israël est l’ennemi de tous, sur quoi la majorité des Libanais s’accordent-ils ? – Le Liban est-il toujours un pont entre l’Occident et l’Orient, un carrefour d’échanges de toutes sortes, pays ouvert aux idées, aux personnes, aux investisseurs, aux touristes, aux universitaires, en un mot à la liberté, telle qu’elle est conçue et pratiquée dans les régimes démocratiques dont le Liban se réclame. Ou bien notre pays est un pays de résistance et de résistants, une société en guerre face à l’ennemi israélien, où les armes et les fusées sophistiquées sont ouvertement acheminées de Téhéran, via Damas, vers notre Sud, pour les besoins de la cause que le Liban seul doit supporter. – Le Liban est-il toujours un pays de convivialité, de tolérance, de consensus communautaire, où aucune communauté ne peut se prévaloir d’être majoritaire par rapport à l’ensemble ou la plus engagée dans les luttes extérieures, s’arrogeant le droit d’intégrer les autres Libanais dans ces luttes ? Est-il la patrie définitive de tous ses fils, ou bien une partie d’entre eux considère-t-elle que son point d’attache, sa référence, se trouve ailleurs, en dehors des frontières ? – L’Amérique et l’Occident sont-ils nos amis, ou nos ennemis ? Aux cris de « Mort à l’Amérique ! », plaçant celle-ci au même rang d’inimitié qu’Israël, d’autres Libanais comptent sur cette même Amérique, en dépit de leur désullision face à la politique américaine, pour nous aider à retrouver notre havre de paix, de stabilité et de prospérité. – Avons-nous une vision commune de notre avenir, sommes-nous d’accord sur l’essentiel, comme c’est le cas dans la majorité des pays, ou bien sommes-nous divisés sur notre vie en commun, sur nos choix de cette vie et sur nos engagements ? À la question : pourquoi nous, pourquoi nous seuls, la majorité des Libanais exige désormais une réponse. Le Golan est calme depuis des décennies et les touristes occidentaux se bousculent dans les villes et sites syriens. L’heure de vérité est là : si le dialogue reprend bientôt autour de la même table, l’ordre du jour ne sera plus le même. On ne peut engager la discussion cette fois sur le tracé des frontières comme si les journées dramatiques et sanglantes de juillet n’étaient qu’un intermède entre deux tours de dialogue. Rien ne sera plus comme avant, comme avant le 12 juillet 2006. Une vérité a éclaté, à laquelle tout le monde doit faire face.