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Actualités - OPINION

PERSPECTIVES - L’escalade des dernières vingt-quatre heures rend encore plus nécessaire le rôle de la société civile dans l’entreprise de redressement national Substituer l’esprit résistant à la déprime

«Les pays qui vivent dangereusement comme le nôtre doivent, pour dormir en paix, être sans cesse en état de résistance. Et cet esprit de résistance auquel les Libanais sont conviés est au fond un esprit d’ordre, un esprit social collectif, une réaction contre les excès et les dangers du pouvoir personnel toujours fragile et exposé à la défaillance et à l’erreur. » Ces quelques lignes sont d’une brûlante actualité. Elles expriment sans détour le type de comportement que nombre de Libanais négligent d’adopter dans le contexte présent qui caractérise la situation dans laquelle se débat le pays. Ce texte a été écrit en… février 1951 par Michel Chiha, dans un éditorial paru dans Le Jour. Il est de mise aujourd’hui encore, plus particulièrement depuis l’historique 14 Mars de l’année dernière. Une constatation – amère, inquiétante, alarmante – peut être clairement faite aujourd’hui à l’échelle locale : les Libanais traversent depuis quelques mois une phase de désenchantement, de déprime aiguë, de profonde lassitude – doublée de désarroi – face à la stagnation politique (et économique) qui marque aussi bien l’action du gouvernement que les travaux de la conférence de dialogue. Le retrait des troupes de Damas et la fin de la tutelle syrienne ont provoqué l’an dernier au sein de l’opinion publique un tel sentiment d’enthousiasme et de soulagement, que pour de nombreux Libanais, le pays du Cèdre était enfin arrivé à bon port, à la faveur du rassemblement du 14 Mars et des manifestations populaires qui l’ont précédé et suivi durant les premiers mois de 2005. Mais le Libanais a sans doute oublié, dans l’euphorie de la libération, d’être lucide. Et rationnel. Il a feint d’oublier ainsi que le Liban sort de trente ans de guerres, d’occupation et de tutelle qui ont non seulement laminé les institutions de l’État, à différents niveaux, mais qui ont aussi totalement faussé, et pendant longtemps, le jeu politique interne. Au terme de ces trente ans d’aliénation et de déviationnisme, il est totalement illusoire de penser que le pays pourrait retrouver en une petite année toute sa gloire d’antan. Surtout dans un contexte alourdi par les multiples contraintes de la mosaïque libanaise et, surtout, par les ultimes soubresauts déstabilisateurs de l’ex-occupant syrien. L’escalade militaire des dernières vingt-quatre heures illustre d’ailleurs parfaitement les difficultés et les aléas de la nouvelle phase fondatrice dans laquelle s’est engagé le Liban depuis un peu plus d’un an. Les développements survenus au Sud et dans la Békaa montrent aussi qu’il faut un peu plus de quelques mois pour réédifier et « désyrianiser » l’État, lancer un véritable dialogue national, rétablir la confiance entre les diverses composantes sociocommunautaires du pays, assainir les finances publiques, faire redémarrer l’économie, bref, stabiliser la situation et repenser la vocation et le rôle du Liban, enfin libéré de ses chaînes. Cela nécessite évidemment l’apport fondamental de la société civile, élément moteur de l’entreprise de redressement. Un tel rôle est nécessaire en raison même des aléas de la situation, et il est d’autant plus vital que, pour la première fois en trente ans, une liberté d’action et d’expression est désormais accessible à tous, tant au niveau politique que sur le plan de la gestion de la chose publique (et c’est là un acquis primordial que nombre de Libanais ne réalisent pas encore suffisamment). Tous les tabous sont en effet tombés et toutes les barrières entre les régions et les leaders ont été bousculées et éliminées. Ce qui favorise l’essor et la grandeur d’un pays, c’est la vitalité de sa société civile. C’est notamment le dynamisme de ses secteurs productifs, l’esprit critique, la vigilance et le caractère entreprenant de ses journalistes, la créativité de ses cadres universitaires, ses chercheurs, ses artistes. C’est également l’attachement de ses penseurs et intellectuels aux valeurs humanistes et aux pratiques démocratiques, leur engagement ferme à sauvegarder les libertés publiques. Ce qui favorise le redressement d’un pays et la construction de l’avenir des générations montantes, c’est le brassage des idées, et pourquoi pas la contestation, sur les campus universitaires. En un mot, c’est l’esprit résistant de chaque acteur de la société civile, chacun dans son domaine particulier, dans son action au quotidien. L’esprit et l’enthousiasme euphorique du 14 Mars, c’est chaque jour que le journaliste, l’étudiant, l’artiste, le penseur, l’enseignant, le chercheur, l’homme d’affaires doivent le vivre et le pratiquer. Afin, précisément, de faire face aux « excès et dangers du pouvoir personnel exposé à la défaillance et à l’erreur ». Et pour ce faire, il est impératif de substituer la déprime et la morosité à l’esprit de résistance et l’engagement citoyen. Car grogner c’est bien, mais agir c’est mieux. Michel TOUMA
«Les pays qui vivent dangereusement comme le nôtre doivent, pour dormir en paix, être sans cesse en état de résistance. Et cet esprit de résistance auquel les Libanais sont conviés est au fond un esprit d’ordre, un esprit social collectif, une réaction contre les excès et les dangers du pouvoir personnel toujours fragile et exposé à la défaillance et à l’erreur. »
Ces quelques...