Dans quelques instants, un duel opposerait...
Actualités - OPINION
IMPRESSION Koussouf
Par AVEDISSIAN Gérard, le 01 avril 2006 à 00h00
La femme de ménage d’Émilie est venue plus tôt ce matin-là. Trop tôt même. Les enfants, eux, ont profité du congé pour se lever un peu plus tard. Dans les rues presque vides, des conducteurs nerveux jouaient des coudes pour arriver avant la Lune. Mais déjà, les ombres étaient plus longues, et le bleu du ciel avait quelque chose de passé.
Dans quelques instants, un duel opposerait les deux lanternes de la terre, celle du jour et celle de la nuit. Dans quelques instants, la nuit ferait intrusion dans le jour, et cet alignement des astres, cette rare coïncidence cosmique vous a encore quelque chose d’inquiétant. Sinon, pour quelle raison les écoles auraient-elles fermé leurs portes ? Pour que les enfants ne se brûlent pas les yeux à fixer le soleil du koussouf ? On aurait pu les garder en classe à ce moment-là, tandis que midi cherchait 14h. Pour ma part, et même si Nouhad, toujours informée à la source, parcourait les bureaux en donnant les consignes de la faculté, je reste convaincue que la psychose de l’éclipse est d’abord archaïque.
Parce que j’ai eu ce frisson de froid – ou était-ce d’angoisse – quand il a fait crépuscule à midi, du côté de la mer. J’ai pensé à Tintin, bien sûr – comment se défaire de la culture bariolée de l’enfance ? –, à ces peuples primitifs que les éclipses mettent à genoux par crainte d’une colère divine. J’ai surtout pensé à Galilée. L’homme par qui est arrivée la précarité de l’homme sur cet astre mouvant, ce bateau ivre, la Terre. Dire qu’avant lui, le cosmos était le cosmos, le lieu de l’ordre parfait où tout était bien rangé à sa place. Les planètes y veillaient aux destinées des terriens, réglaient le rythme de leurs moissons et leur allumaient chaque matin la lumière. Qu’est-ce qu’il lui avait donc pris à l’Italien de bousculer cette paix, de nous enfoncer l’œil dans cette lorgnette où nous ne sommes que cirons ? Il lui avait suffi d’affirmer que la Terre tourne et la Lune avec, vulgaires satellites du Soleil, naguère esclave et désormais le maître. L’histoire avait peut-être donné des idées à Louis XIV, mais l’humanité ne s’en est jamais remise.
Mercredi, à l’heure du koussouf, alors que Marie et Maria scrutaient le ciel sur la terrasse, le nez dûment coiffé de lunettes bien opaques, et qu’elles se réjouissaient de cette boulimie passagère de la Lune ; une fois que celle-ci eut satisfait sa grosse envie de manger du soleil, je me suis pris en plein cœur la terreur archaïque. Qu’allait-il advenir des petites filles qui avaient vu ce sacrilège, ce scandale, le géant défait par un nain ? Quelle sorte de lumière les aurait-elle frappées, brunies au corps, illuminées autour et enchantées tout dedans ? Au retour de l’aventure, leurs visages radieux exprimaient une souriante malice. Et tout à coup, j’ai compris quelque chose. L’éclipse bouscule les organigrammes et met à mal l’autorité. Finalement, on a bien fait de leur donner congé ce jour-là !
Fifi Abou Dib
La femme de ménage d’Émilie est venue plus tôt ce matin-là. Trop tôt même. Les enfants, eux, ont profité du congé pour se lever un peu plus tard. Dans les rues presque vides, des conducteurs nerveux jouaient des coudes pour arriver avant la Lune. Mais déjà, les ombres étaient plus longues, et le bleu du ciel avait quelque chose de passé.
Dans quelques instants, un duel opposerait...
Dans quelques instants, un duel opposerait...
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