Série d’attaques, mardi, contre successivement un minibus, des routiers, un restaurant, des policiers ; attentat, hier, visant l’un des quatre plus importants sanctuaires chiites : en Irak, la violence sur le terrain accompagne les tractations politiques, qu’il s’agisse de périodes électorales, de contacts pour la formation d’alliances ou bien, comme c’est le cas depuis quelques jours, pour la mise sur pied d’une équipe gouvernementale au lendemain du scrutin populaire du 15 décembre dernier qui aura, en prétendant en définir clairement les contours, totalement faussé le processus politique que les Américains tentent depuis des mois d’enclencher et qui continue de claudiquer dangereusement.
Pressé par l’ambassadeur US, Zalmay Khalilzad, mais aussi par le chef du Foreign Office, Jack Straw, de former un cabinet d’union nationale incluant d’éminents représentants de la communauté sunnite (près de 20 pour cent de la population), le brave Ibrahim Jaafari se démène comme il peut pour tenter de mener à bien une mission visiblement au-dessus de ses forces – qui serait impossible d’ailleurs pour tout autre candidat à la fonction. À preuve la destruction, mercredi à l’aube, du dôme en or de la mosquée de Samarra, un chef-d’œuvre de l’architecture islamique dont la construction a été achevée en 1905 et qui abrite les tombes des deux derniers imams visibles de la communauté, ali al-Hadi et son fils Hassan al-Askari. La tradition veut que le sanctuaire soit proche du lieu où le dernier des imams chiites, Mohammad el-Mahdi, a disparu.
Sans doute les hommes en uniforme de policier qui ont planté des charges explosives à l’intérieur du mausolée avaient-ils prévu les réactions qui allaient s’ensuivre. Deux heures plus tard, de Sadr City au cœur de la capitale, à la ville sainte de Najaf, en passant par Kout el-Amara, des foules en colère prenaient possession de la rue, hurlant des slogans hostiles aux « terroristes takfiris », mais aussi aux Américains, accusés de vouloir « susciter la sédition », faisant craindre le pire en dépit des innombrables appels au calme lancés par le grand ayatollah Ali Sistani et des exhortations du Premier ministre « à empêcher les terroristes de briser l’unité nationale ». De fait, on signalait en fin de journée des assassinats et des incendies de mosquées en plusieurs points de la capitale. Le scénario qui commence ainsi à s’esquisser, s’il devait aller jusqu’au bout de ce que prévoient les auteurs de l’attaque d’hier, ne saurait être plus lourd de conséquences pour l’Administration Bush.
C’est que de nouveaux incidents ne feront qu’attiser la poussée de sectarisme, fruit de dizaines d’années d’oppression. L’ombre d’un Baas au pouvoir quarante années durant continue de planer sur la vie de tous les jours, même si les Irakiens commencent à s’habituer à l’absence des fantômes du passé. Certes, les exhortations des chefs religieux autant que les appels à la raison des leaders politiques feront beaucoup pour prévenir une détérioration de la situation. Encore faudrait-il qu’une solution soit enfin trouvée à la crise dans laquelle l’Irak se trouve plongé depuis la malencontreuse expédition américaine engagée en mars 2003 (trois ans déjà !). Ce qui est loin, pour l’heure, d’être le cas. Et ce n’est pas des GI, avec leurs gros rangers, leur artillerie lourde et leur balourdise notoire, pas plus que des politiciens de Washington, le regard braqué sur la prochaine échéance électorale, que viendra la solution – si tant est qu’il y en ait une. Depuis l’époque de Noury as-Saïd, on devinait déjà un pays peu mûr pour une démocratie à l’occidentale, ou même à la Haroun al-Rachid. La main du parti unique a été bien trop lourde et a prétendu bien trop longtemps légiférer au profit d’une seule secte. Ce n’est pas en établissant l’emprise d’une autre secte que l’on pourra instaurer une équité politique acceptable par toutes les parties.
Il y a aussi l’omniprésence de l’or noir qui attise des convoitises d’autant plus difficiles à satisfaire qu’il est présent dans les zones à prédominance kurde ou chiite, où l’on prétend répartir les redevances suivant un système de quotas incompréhensible, sinon pour ses bénéficiaires. Quoi d’autre ? Oh, beaucoup d’éléments, comme l’existence à la frontière nord-ouest d’une Turquie en proie à un prurit atavique dès lors qu’il s’agit des Kurdes, à la frontière nord-est d’un Iran à l’inquiétant prosélytisme et qui s’apprête à frapper à la porte du club atomique.
Avouons que le mélange, hautement instable pour l’instant, pourrait très vite se révéler explosif. Pour peu que l’alchimiste yankee continue de le secouer.
Christian MERVILLE
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