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Actualités - OPINION

COMMENTAIRE Les mouvements islamistes et le paradoxe démocratique

Par Álvaro de Vasconcelos* La vague de colère qui agite le monde arabe après la publication au Danemark, il y a quelques mois, de caricatures représentant le prophète Mohammad, la victoire du Hamas en Palestine et la radicalisation croissante du régime iranien font de l’« islam politique » un problème fondamental sur la scène internationale. Mais il ne peut y avoir de réponse unique à toutes les questions qui se posent. Il faut abandonner l’idée qu’il existe un mouvement islamiste monolithique. L’islam politique a différentes formes qui sont apparues comme la principale alternative aux régimes arabes nationalistes et laïques dont la légitimité, fondée sur la lutte de libération nationale, a disparu du fait de leur incapacité à résoudre les problèmes économiques et sociaux, établir l’État de droit et garantir les libertés fondamentales. En Palestine par exemple, les islamistes l’ont emporté sur le Fateh parce qu’ils ont subi pendant des d’années sa mauvaise gouvernance tout en endurant les épreuves dues à l’occupation israélienne. De longue date, l’Amérique et l’Europe partagent une peur atavique de « l’alternative islamique » aux dirigeants nationalistes et laïques comme ceux du Fateh et défendent de ce fait le statu quo. Mais les monarques et les dictateurs laïques du monde arabe ont écrasé toute opposition, faisant des mosquées le seul lieu à l’abri duquel l’engagement politique restait possible. Aujourd’hui, l’islam politique ne peut plus être contenu, parce que l’on ne peut construire la démocratie en repoussant dans la clandestinité les partis qui disposent d’une base sociale forte. C’est ce qu’a tragiquement démontré l’exemple de l’Algérie il y a 15 ans. La seule alternative à l’autoritarisme est de parvenir à une transition qui permette aux islamistes de participer à la vie politique, tout en les encourageant à accepter sans équivoque les règles du jeu démocratique. Dans de nombreux pays, les partis islamistes plus ou moins conservateurs sont prêts à jouer le jeu. Ce n’est pas par hasard s’ils sont représentés dans les Parlements de tous les pays qui ont engagé des réformes politiques, qu’il s’agisse du Liban, où le Hezbollah est présent au sein d’un gouvernement élu démocratiquement, de la Jordanie ou du Maroc. En Égypte, les Frères musulmans sont devenus une force avec laquelle il faut compter au Parlement, ceci malgré les limites imposées à la participation des groupes islamistes lors des élections de l’année dernière. En Irak, les élections libres ont révélé l’énorme influence des courants islamistes. En Turquie, la transition démocratique a amené au pouvoir un parti islamiste, le Parti de la justice et du développement. Sous sa conduite, le gouvernement turc a entrepris diverses réformes démocratiques importantes et a entamé des négociations portant sur l’admission de la Turquie dans l’UE. Les partis islamistes n’ont rien à voir avec el-Qaëda, même si certains des éléments les plus conservateurs en leur sein ont des positions idéologiques qui peuvent s’en rapprocher. Le risque d’une transition politique qui se solderait par la victoire des partis islamistes constitue un paradoxe démocratique que l’Europe et les USA doivent accepter s’ils veulent favoriser une évolution politique qui englobe toutes les sensibilités politiques – autrement dit à l’exact opposé de l’imposition de la démocratie telle qu’elle a lieu en Irak, sous occupation de troupes étrangères. L’une des conséquences les plus négatives de l’intervention en Irak a été de renforcer la notion de « choc des civilisations » entre l’Occident et l’islam qui engendre un climat favorable aux mouvements islamistes. Le monde musulman a procédé à des réformes politiques bien avant la « guerre contre le terrorisme », et les réformistes musulmans n’ont pas attendu que l’UE acquière un poids politique pour agir. Ces mouvements n’ont pas été créés aux USA ou en Europe après le 11-Septembre, et ils n’attendent pas un signal ou une aide de ces derniers pour agir. Le succès des musulmans modérés risque néanmoins de dépendre de l’attitude de l’UE et des USA à leur égard. Il n’est pas nécessaire de montrer que la démocratie est la meilleure voie pour les Palestiniens s’ils veulent parvenir à créer leur État. Cela dépend pour une grande part de l’orientation que prendra le nouveau gouvernement du Hamas, qui se transformera ou pas en une force démocratique, respectueuse de la loi, de la démocratie et du droit international. Mais cela dépendra aussi d’Israël et de la communauté internationale qui doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour favoriser l’émergence d’un futur État palestinien avec Jérusalem comme capitale. Favoriser la démocratisation chez les Palestiniens n’empêche pas la communauté internationale de demander au Hamas de renoncer définitivement au terrorisme, de se démilitariser, de respecter la Constitution palestinienne et de reconnaître l’existence d’Israël. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut imposer des sanctions au peuple palestinien après qu’il se fut exprimé démocratiquement. Si l’on veut renforcer la récente démocratie palestinienne, ce serait une terrible erreur qui aurait un impact négatif dans les autres pays arabes qui cherchent à se réformer. De la même manière, reconnaître le droit des partis islamistes non violents à participer à la vie politique ne signifie pas le renoncement au combat politique et idéologique pour vaincre les conceptions ultraconservatrices et parfois totalitaires de la société. Combattre le racisme, défendre la tolérance et respecter les sentiments religieux d’autrui ne supposent pas de remettre en question la liberté de la presse ou d’accepter la censure que réclament les islamistes, même si des sentiments religieux authentiques sont blessés, comme dans le cas des caricatures danoises. Les conceptions islamistes de la société qui violent les droits individuels doivent être réfutées politiquement. Ce défi politique est l’un des paradoxes de la démocratie, car elle autorise toutes les idées à entrer librement en concurrence les unes avec les autres. L’islam politique constitue un risque, mais on ne peut le réduire qu’en élaborant une stratégie adéquate, adaptée au cas par cas et qui aille dans le sens de la démocratie, mais pas en dénonçant le résultat d’un choix démocratique. *Álvaro de Vasconcelos est directeur de l’Institut portugais d’études stratégiques et internationales. © Project Syndicate, 2006. Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz.

Par Álvaro de Vasconcelos*

La vague de colère qui agite le monde arabe après la publication au Danemark, il y a quelques mois, de caricatures représentant le prophète Mohammad, la victoire du Hamas en Palestine et la radicalisation croissante du régime iranien font de l’« islam politique » un problème fondamental sur la scène internationale. Mais il ne peut y avoir de réponse...