Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

L’ÉDITORIAL de Issa GORAIEB Justice sans visage

Normalement, la nouvelle ne devrait pas surprendre et encore moins inquiéter. Mais qui saurait parler de normalité dans un minuscule pays aux mille croyances et allégeances ; un pays dont les fils ne sont pas encore arrivés à s’entendre sur une même définition de l’identité, de la citoyenneté, de la souveraineté, des devoirs et des obligations étatiques ? Ainsi donc, Detlev Mehlis nous quitte. Il devait présider, durant une période de trois mois, la commission internationale chargée d’enquêter sur l’assassinat de Rafic Hariri et de ses compagnons. Depuis avril, son mandat a déjà été prorogé à deux reprises. Dès lors, le magistrat allemand est parfaitement en droit de regagner bientôt son pays où l’attendent, en effet, de hautes charges. Et pourtant, ce n’est pas sans un léger pincement au cœur, sans une inquiétude diffuse que nombre de Libanais accueillent l’annonce de ce départ, comme s’il était le signe de quelque obscur accommodement. C’est que dans le feu des passions initié par l’épouvantable explosion du 14 février, nous en étions tous venus à oublier que la justice est impersonnelle, ou alors qu’elle n’est pas. Les circonstances atténuantes ne manquaient pas, il est vrai. Après tout, Mehlis est l’homme qui ne s’est pas embarrassé d’égards politiques et diplomatiques pour formuler ses soupçons, pour épingler des noms dont le seul énoncé faisait naguère trembler. Pour la majeure partie de l’opinion, c’était le redresseur de torts, le débusqueur de sorcières : l’exorciste venu nous débarrasser des démons du crime et de la terreur ; le druide teuton sans barbe blanche venu offrir une bonne lampée de potion magique à une justice libanaise longtemps subjuguée par les officines policières de la tutelle. Mais une fois de plus, nous sommes au pays des contradictions : lesquelles, pour ne rien changer, sont pain bénit pour les manipulateurs d’outre-frontière. Incarnation de la quête internationale de vérité pour les uns, Detlev Mehlis a été inévitablement, méthodiquement diabolisé par d’autres. Ouvertement orchestrée par la Syrie, la cabale a d’abord visé l’intégrité du juge, accusé de s’être fait l’instrument d’un complot américano-israélien contre le vaillant régime de Damas. Dans un deuxième temps, on s’en est pris à la compétence professionnelle de Mehlis, n’en voulant pour preuve que l’affaire des deux faux témoins entendus, parmi des centaines d’autres, par les enquêteurs. Et dans l’intervalle, certaines voix auront même poussé la sottise et la malveillance jusqu’à reprocher au magistrat de négliger ses dossiers pour s’adonner à des soirées (semi ?) mondaines abondamment arrosées de Dom Pérignon ! Que l’annonce de ce départ suive de peu les récentes et rocambolesques révélations télévisées d’un de ces faux témoins, Houssam Houssam, ne manquera sans doute pas d’être exploité par la Syrie et ses inconditionnels locaux. Il reste que brandir cet énergumène pour crier victoire est doublement stupide (une fois pour chaque Houssam). Non seulement en effet la déposition initiale de celui-ci, accablante pour Damas, est loin d’être annulée, mais il va être entendu une nouvelle fois à Vienne : et d’autres avec lui, de plus importants que lui, de plus importants même que les cinq Syriens appelés à déposer la semaine prochaine dans la capitale autrichienne. Et il faudrait bien davantage que l’épisode Houssam, de surcroît, pour ébranler les convictions du limier onusien, lesquelles se fondent en effet sur des aveux aussi décisifs que confidentiels, comme sur de providentiels – et irréfutables – enregistrements de conversations téléphoniques. C’est dans moins de deux semaines que sera remis l’ultime rapport de Mehlis au Conseil de sécurité. Que l’on se rassure cependant : avec ou sans Mehlis, l’enquête ne pourra que se poursuivre : unité et continuité de la justice, alternance des juges, voilà des notions avec lesquelles il nous faut renouer avec confiance et espoir. Un rai de lumière est déjà là. Et plus rien, absolument rien, ne pourra rétablir le sinistre noir des cachots et des tombes.

Normalement, la nouvelle ne devrait pas surprendre et encore moins inquiéter. Mais qui saurait parler de normalité dans un minuscule pays aux mille croyances et allégeances ; un pays dont les fils ne sont pas encore arrivés à s’entendre sur une même définition de l’identité, de la citoyenneté, de la souveraineté, des devoirs et des obligations étatiques ?
Ainsi donc, Detlev...