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Après Vienne, Canossa ?
Par Nagib AOUN, le 28 novembre 2005 à 00h00
Le processus est déclenché, l’engrenage enclenché et, au bout du chemin, aboutissement naturel, la mise en place d’un tribunal international. De longues semaines de tergiversations, d’atermoiements n’auront finalement servi à rien. Un temps perdu que la direction syrienne s’imaginait pouvoir gagner, un jeu absurde qui l’a conduite au bord de l’ostracisme : la menace d’un rapport anticipé de Detlev Mehlis au Conseil de sécurité dénonçant la non-coopération de Damas et suggérant des sanctions auxquelles se serait ralliée l’ensemble de la communauté internationale.
La création d’une commission ad hoc de l’ONU présidée par le représentant du Japon a, semble-t-il, accéléré le dénouement, aussi bien Moscou, Ryad que Le Caire alertant la Syrie sur l’imminence de mesures irréversibles.
Contrainte mais devenue soudainement pragmatique, la direction syrienne a lâché pied, cédant sur l’arrière-garde, transformée en victime expiatrice, mais s’arc-boutant sur des raisons d’État, de famille en fait, pour tenter de soustraire à la justice des proches, tout proches du régime.
À ce niveau toutefois, et pour jouer avec les mots, c’est un combat d’arrière-garde que livre Damas, les interrogatoires à Vienne, de confrontations en témoignages, ne pouvant conduire qu’à l’élargissement de l’enquête, une piste esquissée dans le rapport initial de Mehlis, des noms jetés en pâture à la presse puis supprimés, et qui ne manqueront pas de remonter à la surface.
Vienne, dans ces circonstances, ne peut être la fin du voyage, elle n’en sera que le commencement. Et le pouvoir baassiste commettrait une grossière erreur de croire que les garanties russes qui lui ont été fournies le prémuniraient contre des investigations à plus haut niveau.
Le ralliement, in extremis, à l’option viennoise offre en fait à Bachar el-Assad l’occasion unique, ultime, de procéder à un grand nettoyage dans la maison syrienne. En a-t-il les moyens, ou en a-t-il seulement le désir ? Telle est la question essentielle qui laisse dubitatif plus d’un observateur averti, le maintien, à tout prix, de la stabilité interne constituant le souci majeur du président syrien.
Le Liban aspire évidemment à des rapports normaux avec la Syrie, à une situation de bon voisinage, à des échanges naturels et cordiaux. Mais comment y arriver alors que le passé lointain et proche resurgit brutalement, taraude de nouveau les esprits, tourmente tous ceux qui veulent connaître les autres vérités ? Avec l’assassinat de Hariri et l’enquête subséquente de Mehlis, une boîte de Pandore s’est ouverte, béante, dégageant les relents les plus putrides, les odeurs les plus nauséabondes.
Les questions que personne ne s’aventurait à poser durant l’oppressante, l’asphyxiante présence syrienne sont assénées aujourd’hui avec acuité : qui a assassiné René Moawad en ce triste 22 novembre 1989 ? Qui a tué le mufti Khaled cette même année ? Pourquoi aucune enquête n’a été ouverte pour retrouver les coupables ? Est-il vrai que dans le cas du président martyr, les protagonistes du crime sont ceux-là mêmes qui ont planifié le meurtre de Rafic Hariri ? Les mêmes qui ont ourdi les attentats contre Marwan Hamadé, Georges Haoui, Samir Kassir, May Chidiac ?
Le contentieux est lourd, très lourd, et la défiance sans cesse entretenue par la chape de plomb qui entoure un autre dossier pénible, celui des centaines de disparus libanais dans les geôles syriennes. Des jeunes enlevés ou arrêtés il y a des décennies, dont les cheveux ont blanchi derrière les barreaux, qui ont vieilli dans la négation même de leur identité et qui sortiront peut-être un jour de prison brisés à tout jamais, tels des fantômes surgis des ténèbres…
Walid Joumblatt a raison : aucun arrangement n’est possible avec la Syrie tant que les doutes n’auront pas été dissipés, tant que la vérité, dans sa globalité, n’aura pas été connue, tant que la Syrie ne se sera pas engagée sur la voie de la démocratie.
Et pourtant, comme ne manque pas de le rappeler Fouad Siniora en toute circonstance, le Liban et la Syrie se doivent de vivre en bonne entente, l’histoire et la géographie l’imposent, l’avenir nous le commande.
Faut-il pour cela travestir la vérité, occulter le passé, faire table rase de l’humiliation subie, de l’indignité imposée au quotidien ?
Évidemment que non ! Plus que jamais un travail de repentance est exigé, l’aveu clair, sans ambiguïté, de toutes les erreurs, de toutes les atrocités commises, de l’insulte faite à l’essence même du Liban souverain.
Vienne est-elle une étape vers Canossa ? Difficile à croire avec le pouvoir en place à Damas. Mais dans la pièce, quasiment shakespearienne, qui déroule ses actes entre le Barada et le Danube, des acteurs imprévus peuvent surgir, des drames se produire, un épilogue « sismique » se profiler. Le Liban, soyons optimistes, n’en serait alors ni la scène ni le protagoniste. Il se contentera, pour une fois, du rôle de spectateur, et il en sera fort aise.
Nagib AOUN
Le processus est déclenché, l’engrenage enclenché et, au bout du chemin, aboutissement naturel, la mise en place d’un tribunal international. De longues semaines de tergiversations, d’atermoiements n’auront finalement servi à rien. Un temps perdu que la direction syrienne s’imaginait pouvoir gagner, un jeu absurde qui l’a conduite au bord de l’ostracisme : la menace d’un...
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