Je n’aime pas les spectacles, j’aime les fêtes
(R. Vailland, La Fête)
Tout au long de cette nuit noire que fut le règne de la tutelle, on s’était évertué à faire comme si. On mentait avec un bel aplomb, et on ne faisait que se mentir soi-même. On ne parle pas de corde dans la maison d’un pendu ? En ce temps-là, le Liban officiel n’avait cure de telles délicatesses et décences, et c’est en grande pompe qu’il sacrifiait au rituel du 22 novembre. On plastronnait en groupe devant les caméras de télé, on s’autocongratulait avec le plus grand sérieux, on festoyait pour ce qui n’était plus en réalité qu’un culte du souvenir.
En l’espace de quelques mois, énormément de choses ont changé et le séisme Hariri n’a sans doute pas fini de produire des secousses secondaires. Les troupes syriennes sont enfin rentrées chez elles sous la double pression du peuple et du monde extérieur. Après l’interminable nuit, a pointé une aube chargée de promesses : l’indépendance n’est plus matière à nostalgie mais objet de reconquête, pour les forces politiques comme pour l’homme de la rue. Faire la fête demain, c’est à nouveau un acte de foi et d’espérance.
Tout n’a pas changé, cependant, dans notre pays. Et on a l’étrange impression d’assister, 62 ans plus tard et bien qu’à l’ombre de paramètres politiques et démographiques différents, à une réédition de certains schémas qui avaient guidé l’accession à l’indépendance. Celle-ci fut essentiellement l’œuvre d’un couple, d’un tandem historique, celui formé par les présidents Béchara el-Khoury et Riad el-Solh. Aux termes d’un pacte national non écrit, les chrétiens renonçaient à la protection de la France et les musulmans à l’union avec la Syrie : pas assez quand même, prophétisait alors Georges Naccache, pour faire une nation.
Par le plus grand des paradoxes – et en s’en tenant au strict niveau des institutions – c’est le Premier ministre sunnite qui décline aujourd’hui avec le plus de force et de clarté, avec le plus de crédibilité aussi, son attachement à un Liban arabe certes, mais indépendant et souverain ; un Liban rebelle à toute tutelle étrangère ; un Liban dont les propres fils, affirmait-il hier encore, sont tenus de renouer avec le réflexe d’indépendance. Après des décennies d’équivoques exploitées le plus souvent à des fins politiciennes par les pensionnaires du Sérail, c’est véritablement un autre Riad el-Solh que l’on a en la personne de Fouad Siniora. Mais il n’y a pas cette fois, hélas, de couple historique.
Car confiné dans son palais de Baabda, coupé de l’opinion publique, boycotté par le gros des forces politiques et traité en pestiféré par la communauté internationale, c’est le président maronite qui fait figure de survivant politique d’une ère d’aliénation théoriquement révolue. Puisse Émile Lahoud, littéralement pétrifié, statufié dans son refus d’admettre la réalité, trouver matière à inspiration dans l’heureuse réinstallation aujourd’hui, place Béchara el-Khoury, d’un géant qui n’était pas fait que de bronze. Pour ce président-là en effet, nulle légalité constitutionnelle, aucune majorité parlementaire ne pouvait faire le poids face à une évidente, une éclatante volonté populaire réclamant son départ.
Autre paradoxe, et non des moindres : si l’indépendance est dans l’air du temps, le vieux débat identitaire n’est pas clos pour autant. Non point évidemment qu’il y ait encore des Libanais aspirant sincèrement, et en nombre respectable, à une fusion avec la Syrie ou à une dilution dans la Oumma arabe. Mais qu’est-ce donc, au fait, qu’être Libanais ? C’est sur ce point précis que le consensus national reste à faire. Et à le faire, qui plus est, dans un contexte moyen-oriental et même mondial rien moins que serein. Le phénomène terroriste, les équipées de l’Administration Bush, l’Irak pacifié et cependant en feu, le dossier nucléaire de l’Iran, les pressions internationales sur la Syrie, la violence endémique en Palestine : à défaut de la justifier, tout cela pourrait expliquer la place à part, en marge des retrouvailles nationales et populaires pour l’indépendance, que se sont réservées les deux grandes formations chiites du pays.
C’est dire que s’il fait peau neuve, le Liban n’est pas près de se mettre à l’abri des tempêtes venues du large. Mais ni la capricieuse météo régionale ni l’attente du fameux consensus sur l’identité ne sauraient interdire une tentative sérieuse, inédite, de remettre quelque ordre dans la maison. Autant que des ingérences étrangères c’est de la vénalité politique, de la corruption et du parasitisme administratifs, des passe-droits, dénis de justice et autres calamités – devenues elles aussi historiques – que le Liban nouveau doit se libérer. Ce jour-là, la fête n’en sera que plus méritée.
Issa GORAIEB
Je n’aime pas les spectacles, j’aime les fêtes
(R. Vailland, La Fête)
Tout au long de cette nuit noire que fut le règne de la tutelle, on s’était évertué à faire comme si. On mentait avec un bel aplomb, et on ne faisait que se mentir soi-même. On ne parle pas de corde dans la maison d’un pendu ? En ce temps-là, le Liban officiel n’avait cure de telles délicatesses et...
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