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Actualités - OPINION

Indépendance 05

À petits et grands pas, nous avons voté, le 14 mars, pour l’indépendance du Liban. Mais ce jour-là, nous avons goûté non seulement à l’indépendance, mais également à l’existence du Liban, ce qui est encore plus profond. Nous avons écrit l’histoire. C’est la bonne nouvelle que nous devons nous redire tous les matins, au saut du lit. « Nous sommes insérés dans le tissu même de l’histoire (…). Nous ne pouvons la connaître, parce qu’elle n’est pas écrite encore. » La pensée est d’Henri Irénée Marrou, l’un des grands historiens du XXe siècle. Que personne ne nous leurre donc en nous demandant de regarder en arrière. Le Liban, c’est nous qui le créons tous les jours, même avec les pesanteurs sociologiques qu’il traîne et draine, même avec les boulets qui parfois l’enchaînent. Ou encore, en dépit d’eux. Car l’histoire véritable n’est presque jamais celle qui est empiriquement observable, celle qui se déroule dans l’espace et le temps. Celle-ci n’est souvent, comme dit Shakespeare, qu’une histoire « pleine de bruit et de fureur, ne signifiant rien ». Ses péripéties sont souvent « absurdes », pour parler comme Camus. L’histoire signifiante, c’est celle qui s’écrit en ce lieu de liberté, en ce lieu intérieur que, faute de mieux, on appelle « l’âme » d’un peuple, disons d’une société. Le 14 mars, c’est deux Liban qui s’unissaient en une même âme, alliance scellée entre eux pour toujours, le Liban enfin trouvé et démontré, dans l’exaltation du sentiment de la catastrophe qui nous avait frappés. Et dans la douleur de l’absence d’une autre communauté avec laquelle nous voulions partager ce bonheur, mais qui n’en a pas voulu et qui n’en veut pas encore. Mais dire que l’histoire véritable est celle qui s’écrit dans l’âme d’un peuple ne signifie pas qu’elle ne peut également affleurer, en des moments privilégiés, dans l’histoire événementielle. Car même l’histoire événementielle peut recevoir un sens exaltant d’une réalité plus haute, d’une réalité spirituelle. Cela dépend en grande partie de nous, de notre courage, de notre volonté politique. Et c’est encore nous qui le défaisons, ou pouvons le défaire, en cédant à l’entropie sociale, en ne faisant pas preuve de l’énergie nécessaire à sa création quotidienne, en nous avachissant, en nous laissant aller. En plein effort d’indépendance, il s’est trouvé des forces aveugles pour briser notre élan, nous priver de « l’exaltation d’un combat mené en commun », la phrase est encore de Marrou. Surpris, décontenancés, désillusionnés et même dégoûtés, nous avons parlé d’un printemps inachevé. Mais non, il ne s’agit pas de ça. Ces sentiments ne nous sont pas propres. L’histoire de tous les peuples est marquée par ces apparents revers. Non, le printemps était bien là, et ce n’est pas l’hiver qui lui a succédé. Ce qui lui a succédé, c’est la nécessité de travailler un texte, après l’euphorie de l’inspiration. Or qu’est-ce qui, dans cet instant magique, nous a captivés ? C’était l’affirmation d’une volonté de vivre en commun, dans la concorde, entre musulmans et chrétiens, dans la liberté, dans la démocratie ou plutôt, osons le dire, dans l’« utopie démocratique »– les termes sont de Philippe Meirieu– quelle que soit la folie sanguinaire qui souffle en dehors de nous, au point de menacer la planète entière, et quelles que soient les utopies meurtrières qui s’entrechoquent. Aujourd’hui, restons fidèles à ce premier jet et travaillons-en le propre. Ne regardons plus en arrière, même pour nous attendrir sur cet instant magique. Il est là et ne s’en ira pas. Regardons vers l’avant. Quel Liban voulons-nous ? Voilà ce qui, aujourd’hui, importe. Et il dépend de nous de le dire, de le vouloir et de le faire, de mettre nos excellentes institutions, malgré leurs quelques défauts, au service non plus de telle ou telle communauté ou groupe d’intérêts, mais de ce « bien commun », précieux et inappréciable, le Liban. Fady NOUN
À petits et grands pas, nous avons voté, le 14 mars, pour l’indépendance du Liban. Mais ce jour-là, nous avons goûté non seulement à l’indépendance, mais également à l’existence du Liban, ce qui est encore plus profond. Nous avons écrit l’histoire.
C’est la bonne nouvelle que nous devons nous redire tous les matins, au saut du lit. « Nous sommes insérés dans le tissu...