Actualités - OPINION
IMPRESSION Fanfares
Par ABOUDIB FIFI, le 19 novembre 2005 à 00h00
Sur le pont du « ring » qui surplombe la place des Martyrs, dans le concert de klaxon déclenché par la faim de 14h30, tout à coup les accents des cuivres et des percussions en répétition pour la fête nationale. Même en essayant d’éviter les sujets qui fâchent, l’indépendance aura une saveur tout autre cette année. Cette fanfare est une madeleine sonore qui ramène aux années noir et blanc, quand les petits frères, vraiment petits, bombaient le torse devant le téléviseur, au passage de l’artillerie. On en a dessiné des drapeaux, en ce temps-là, on en a gratté, du rouge et du vert sur Canson blanc. Le cèdre, à la maternelle, ressemblait encore à un bonhomme aux bras ouverts, aux mains inachevées. L’année suivante il s’offrait deux pointes supplémentaires qui lui donnaient un air d’étoile. Les branches entre les étages de verdure ne sont apparues que plus tard, à l’âge du dernier drapeau dessiné. Le 22 novembre, rouge-blanc-vert tonique dans la grisaille de saison, fête de l’arbre pérenne qui nous sert d’emblème, symbole d’un printemps éternel et toujours décalé. Les mêmes couleurs acidulées revenaient dans le taboulé, revêtu pour la circonstance de solennité patriotique. Les percussions et les cuivres, leurs polkas surannées, leurs marches grandiloquentes, airs importés, charriés par les armées de passage nous soulevaient de frissons.
Les fanfares de mon enfance, discordantes, échevelées, accompagnaient les cortèges funèbres. Le cercueil était conduit à pied, porté à bras d’hommes par les ruelles. Trombones et grosse-caisse ouvraient la marche, infligeant un imperceptible pas de danse à la cohorte des endeuillés. Sur les balcons, on imposait aux enfants le silence. Ils crispaient leurs poings dans leurs poches pour s’empêcher d’applaudir. Le mort rendu à sa dernière demeure, la fanfare allait cacher ses instruments dans une grotte fermée par un portail de fer. En regardant par la serrure, on pouvait voir briller les chromes des tambours qu’un rayon indiscret effleurait.
Bien plus tard, à Paris, à la faveur d’une de ces rencontres dont les exils forcés ont le secret, Prosper Gay-Para, créateur du Palm Beach, des Caves du Roy, du Grenier et du fameux Byblos de saint Tropez, Prosper-youpla-boum, roi des nuits beyrouthines, joyeux organisateur des fêtes de l’âge d’or, m’avait confié que l’un des projets qui lui tenait le plus à cœur était la formation d’une fanfare dans chaque village libanais. Il voulait que chaque événement, chaque fête populaire, chaque visite de notable soit accompagné de flonflons. Il voulait même créer des bataillons de pom-pom girls dont on élirait la plus belle à la fin de l’été.
Il est vrai que les fanfares ne sont pas rêves de mélomanes. Et même la fanfare militaire du 14 Juillet accompagnant la cavalerie sur l’air d’Auprès de ma blonde ne prétendra jamais faire de la haute musique. Et pourtant, dès que roule un tambour, dès que les cymbales y vont de leur zim-boum jovial, dès les premiers accents de l’ensemble en uniforme nous voilà transportés. Il y a de la magie dans les fanfares. Il y a de la fête populaire, de l’expression primaire, du jeu, de la joie. Quand la valse des hélicoptères accompagne les vents, les cœurs battent à l’unisson des cuivres. On le sait depuis Jéricho, pour abattre un mur il suffit parfois que claironne une trompette. C’est bien notre 22 novembre, torse bombé, tête haute, vert-blanc-rouge et fierté de porter les mêmes couleurs. On ne nous le reprendra pas.
Fifi ABOU DIB
Sur le pont du « ring » qui surplombe la place des Martyrs, dans le concert de klaxon déclenché par la faim de 14h30, tout à coup les accents des cuivres et des percussions en répétition pour la fête nationale. Même en essayant d’éviter les sujets qui fâchent, l’indépendance aura une saveur tout autre cette année. Cette fanfare est une madeleine sonore qui ramène aux années...
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