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Actualités - CHRONOLOGIE

MOMENTS INSOLITES - Hani Safa, l’ancêtre du « delivery » Un café, un ! Au pas de course et avec le sourire

C’est dans un coin caché de la rue Hamra que Abou Mhammad « officie » depuis le début des années 60. Il suffisait alors, comme aujourd’hui d’ailleurs, de composer son numéro de téléphone pour que, au seul son de votre voix – ou de votre secrétaire –, il mette « le café sur le feu » et qu’il vous le livre, au pas de course, et avec le sourire, quelques courtes minutes plus tard ! «Comment aimez-vous votre café ? » nous demande Hani Safa, fièrement surnommé Abou Mhammad. Cela fait plus de quarante-trois ans qu’il pose cette question, une fois, une seule fois, avant de retenir vos goûts pour le reste de sa vie, avant que vous ne fassiez partie de ses fidèles habitués. Car Abou Mhammad est le spécialiste du café, sans sucre, légèrement sucré, parfumé à la cardamome, bref selon le désir de chacun, mais avec sa touche particulière. « J’avais commencé à aider mon oncle maternel, pour m’amuser, durant les vacances. Il avait son café près du ministère des Travaux publics. Puis je me suis installé à mon compte, ici, en 1962. » Dans cet antre minuscule de 4 m x 2, le même depuis ses débuts, Hani offre des boissons à consommer sur place ou prépare ses cafés « terké » au goût magique. Deux éviers, un petit four, sa réserve en bouteilles d’eau et de jus. L’espace est étroit, mais il s’y retrouve parfaitement depuis qu’il a planté ses repères et monté une organisation parfaite. Au mur, des proverbes arabes qui parlent d’honnêteté, de destin, de fraternité. Sur le petit trottoir en face, côté cour, une mini-terrasse a été improvisée, avec une table et quatre chaises, pour les clients qui veulent consommer sur place. Notre café à peine servi, le téléphone sonne. « Tout de suite », répond-il simplement. Et c’est tout de suite qu’il sort ses deux cafetières en cuivre et qu’il s’exécute. En un tour de main, les tasses posées sur un plateau, le voilà qui s’éloigne, emportant avec lui ce délicieux parfum oriental. « Vous ne fermez pas le magasin ? » demandons-nous en le suivant maladroitement dans sa course, alors qu’il réussit à marcher, presque à courir, d’une rue à l’autre, sans mettre en danger sa livraison. « Il n’y a pas de problème, répond-il en riant ! J’ai été volé trois fois, mais c’était la nuit ! Ils n’ont rien trouvé, la caisse était vide ! » Un métier en voie de disparition... Abou Mhammad a connu les plus beaux jours de la rue Hamra. Lorsque ses clients étaient de grands journalistes et de brillants politiciens. Lorsqu’il livrait plus de 400 cafés par jour, partait en courant avec trois plateaux dans une main et autant dans l’autre. Lorsqu’il servait du jus de fruits frais, des limonades, des sandwiches et des gâteaux. « J’avais alors 6 employés. On ouvrait de 6 heures du matin à 20 heures, heure à laquelle je ne répondais plus au téléphone ! » Des « accidents de parcours », il n’en a jamais connu. « Je suis tombé deux fois, la première dans ma salle de bains et la seconde dans le hall d’une banque où il y avait une fuite d’eau… » Il regrette cette époque où le café Modka était dans un jardin, le Café de Paris vivait son heure de gloire, le Picadilly pointait du nez. Et que les carnavals de fleurs, les manifestations politiques, les événements culturels et la vie de nuit donnaient à la rue un halo particulier. « Aujourd’hui, je continue à faire cela pour m’occuper. Nos meilleurs clients ont déménagé avec la guerre. Ce n’est plus une affaire rentable. Je gagne en une semaine ce que je gagnais en un jour. Les loyers sont chers, les taxes exorbitantes et je ne veux pas lésiner sur la qualité. » Mais heureusement, confirme-t-il, il reste les souvenirs. Répertoriés dans sa mémoire ou dans ce cahier aux pages froissées où, comme des hiéroglyphes que lui seul comprend, il note le nombre de cafés impayés qu’on lui réglera plus tard, un autre jour. Rien ne presse, à 65 ans passés, il a tout son temps, Abou Mhammad… Pourvu que son café ne devienne pas trop amer, comme ses regrets. Carla HENOUD
C’est dans un coin caché de la rue Hamra que Abou Mhammad « officie » depuis le début des années 60. Il suffisait alors, comme aujourd’hui d’ailleurs, de composer son numéro de téléphone pour que, au seul son de votre voix – ou de votre secrétaire –, il mette « le café sur le feu » et qu’il vous le livre, au pas de course, et avec le sourire, quelques courtes minutes plus...