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Actualités - CHRONOLOGIE

Disparition Juliana Séraphim, une grande dame de la peinture libanaise (photos)

Elle affectionnait ce titre de grande dame de la peinture libanaise et elle ne l’a pas volé. Une figure de proue, une pionnière du surréalisme, une femme peintre qui ne manquait ni de courage ni d’audace, et encore moins de talent, s’est éteinte la semaine dernière à Jounieh, son dernier havre d’inspiration. Le roulis de la mer pour compagne et berceuse, le soleil comme ami réconfortant et les petits cafés des rues piétonnes de Jounieh pour une détente bien méritée, c’était le Montmartre tranquille et sécurisant de notre Léonor Fini... Après un douloureux combat contre la maladie et l’adversité, dans un pays plus préoccupé par ses problèmes économiques, sociaux et politiques que par l’esthétisme sulfureux d’un surréalisme parfois outrancièrement coloré, Juliana Séraphim a rendu le tablier à la vie... Au soleil de Jounieh, elle a aspiré à un peu de sérénité et de rêve. Elle coulait là des jours plus ou moins paisibles entre chevalet, pinceaux et toiles peintes. Sa petite maison face à la mer s’était transformée au gré des années presque en un musée baroque et vivant, tant ses murs étaient devenus des cimaises chargées de tableaux qu’elle peaufinait inlassablement et commentait sans pitié, mais avec un humour corrosif. Ah le rire « gargantuesque » de Juliana en se versant un verre de champagne, de vin blanc ou en grillant nerveusement sa cigarette (qu’elle glissait, très diva, à l’époque de la Flying Cocotte, dans un long fume-cigarette comme une star hollywoodienne). Elle avait juré fidélité à un art qu’elle a servi jusqu’au bout. Avec passion et une dévotion entière. La peinture était sa raison d’être. La plus authentique et la plus tenace de toutes ses passions. Éclipsée par le fracas des armes et la guerre, la récession économique et les problèmes du pays du Cèdre, bien plus grands que l’envie de créer un monde surréaliste où la femme est pure magie, Juliana Séraphim s’est délibérément exilée dans son univers...Univers clos où elle a continué a peindre les amants d’aujourd’hui et d’autrefois, tout en reconnaissant, sans frayeur aucune, les métamorphoses de la traversée humaine...Et les multiples et insaisissables visages de la femme. Avec des masques et des loups où la femme est fleur, perle, fruit éxotique. Tout cela dans un style vénéneux et luxuriant où « la chose sexuelle » est tacitement entendue. Parfois avec provocation, mais souvent comme une représentation naturelle faussement candide où l’instinct et l’aspect primitif ont des allures de suprême sophistication. Sa peinture et sa vision ne ressemblent à celles de personne, et elle faisait fi des modes et des courants qui passent comme fétu de paille. Elle a rêvé de villes magiques et mystérieuses, d’atlantes orgueilleux, que même Shcéhérazade n’aurait pas pu imaginer, de fringants Pégase fessus que l’on dirait échappés d’un livre de contes précieux, de forêts profondes, étrangères même au douanier Rousseau... Peintre, dessinatrice, graveuse, Juliana Séraphim a poursuivi ses études aux académies des beaux-arts de Paris, Madrid et Florence, et elle a participé aux biennales de Paris, d’Alexandrie, de São Paolo, et ses expositions (personnelles et rarement collectives) ont eu toutes les faveurs du public, notamment dans les années 1970-75, l’apogée de sa glorieuse carrière de peintre. Pour ceux qui ont connu cette période dorée et cosmopolite de Beyrouth, Juliana Séraphim régnait sans partage sur le monde de l’art pictural oriental. Elle avait, en plus de l’atout majeur de sa palette et de sa vision « dalinienne » de la femme, un autre atout non négligeable : sa propre beauté. À chaque exposition, évènement mondain incontournable, Juliana Séraphim s’apprêtait comme la reine de Saba à recevoir son public, et toutes les mauvaises langues qui disaient que sa peinture n’était que narcissisme ne faisaient que divulguer un savoureux secret de Polichinelle... Ses tableaux étaient ses psychés et ses miroirs. Et on se les arrachait à prix d’or. Tout le monde voulait un « Juliana » comme à l’époque de la folie Hrair ! Mais par-delà la légende de son talent, de sa beauté et du train luxueux et tapageur de sa vie en cette époque de pétrodollars, Juliana Séraphim traquait un rêve qui la hantait depuis l’enfance : peindre. Rêve fabuleux et fantastique concrétisé par des images retentissantes où se mariaient en toute impunité, comme dans une noce barbare, couleurs phosphorescentes, courbes sensuelles, atmosphères foisonnantes d’un boudoir ouaté. À Paris, à la rue Visconti où elle habitait quand Beyrouth croulait sous un déluge de feu, Juliana Séraphim, tout en poursuivant son parcours et en perfectionnant sa technique de peindre, a tenté en vain d’appartenir au cénacle des peintres internationaux. Pourtant, elle avait enlevé haut la main ces illustrations tant convoitées de Sherwood... Cercle fermé que ces artistes d’Europe lui refusaient pour son appartenance au monde arabe ! Retour au bercail, entre deux accalmies, et reprise du travail laborieusement, patiemment. Elle peignait tout : ses vitres, ses murs, ses meubles, ses accessoires de vêtements et ses colifichets. Elle n’a jamais arrêté de croire que l’art la rendra à nouveau superstar comme quand elle passait sous les « sunlights » des galeries, bardée, comme des garde du corps, de ses tableaux où son image se reflète jusqu’à l’infini...Émouvante Juilana qui avait le sens de l’amitié, d’une générosité de princesse et qui croyait ferme comme pierre aux vertus valorisantes de l’amour. Surtout celui de peindre. Edgar DAVIDIAN

Elle affectionnait ce titre de grande dame de la peinture libanaise et elle ne l’a pas volé. Une figure de proue, une pionnière du surréalisme, une femme peintre qui ne manquait ni de courage ni d’audace, et encore moins de talent, s’est éteinte la semaine dernière à Jounieh, son dernier havre d’inspiration. Le roulis de la mer pour compagne et berceuse, le soleil comme ami...