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Actualités - OPINION

Où va-t-on ?

L’attentat du 14 février a bouleversé la dynamique sociale et politique du Liban. Jamais un choc d’une telle ampleur n’avait été enregistré. Du jour au lendemain, les évènements ont propulsé le Liban sur le devant de la scène politique internationale et conduit les différents partis, les communautés et la majorité silencieuse à modifier radicalement leurs positions. La conséquence directe et sans doute la plus palpable en a été le retrait des troupes syriennes du territoire. Cependant, on ne peut s’arrêter à cet aspect de la conjoncture présente. La fracture a été tellement profonde qu’elle a enclenché une altération des structures sociales et politiques, et des modes de pensée. D’une part nous sommes en présence d’une nouvelle dynamique sociale, et d’autre part nous assistons à l’émergence d’un débat politique nouveau. La population s’est soulevée contre une classe politique qui ne répond plus à ses attentes et à ses aspirations. La société libanaise est à un carrefour stratégique : soit elle s’engage de pied ferme dans un processus démocratique, soit elle bascule à nouveau dans l’injustice et la violation des droits de l’homme. Pour s’engager de plain-pied dans un processus de transition démocratique, il faut œuvrer à l’émergence d’une véritable culture démocratique. En effet, la démocratie n’est pas une catégorie fixe ou immuable, c’est un processus continu et dynamique. Nous sommes en période de gestation d’une culture démocratique, et il faudrait un travail assidu et généralisé à long terme pour édifier une culture de la démocratie, et l’enraciner dans le mode de pensée et d’action de la population. En suivant les multiples débats télévisés entre les hommes politiques et les jeunes, considérés comme le fer de lance de ce mouvement, nous avons l’impression que la démocratie, ainsi que tous les concepts qu’elle comporte, ressemble plus à une coquille vide. Édifier une culture de la démocratie, c’est faire comprendre aux jeunes, aux adultes ce que signifient les notions de liberté, de justice, des droits de l’homme, de tolérance, d’égalité. Cela suppose un rejet collectif de la violence et vise à armer la population libanaise, non pas d’un fusil, mais d’une capacité de dialogue et de compréhension. C’est un projet collectif qui ne peut s’implanter que s’il est local ou national, et non pas un régime imposé, comme c’est le cas par exemple en Irak. Il est important de partir des grands concepts et des principes universels pour ensuite développer un langage qui permette à toutes les tranches de la population libanaise de s’approprier un discours sur la démocratie qui leur ressemble sans avoir l’impression qu’on leur impose un discours de l’extérieur. À qui incombe ce rôle au Liban ? Qui doit plaider et œuvrer en faveur de l’établissement d’une véritable culture de la démocratie ? L’État ? Historiquement, les acteurs étatiques ont toujours cherché à contrôler l’espace démocratique au sein de la société. Ils emploient différents mécanismes depuis l’adoption de lois jusqu’à la répression. L’actualité libanaise illustre bien cette situation, qu’il s’agisse de la répression des jeunes et des médias il y a quelques années, ou de la récente manipulation de la loi électorale. L’opposition ? À la suite du décès de Rafic Hariri, l’opposition a engagé un combat qui a amené les acteurs de la société civile à se mobiliser pour exercer des pressions et réclamer des réformes. Mais aussitôt que l’opposition a cru être parvenue à ses fins et a senti une menace sur son pouvoir, elle a « fermé l’espace démocratique ». Les intérêts personnels de l’opposition et des partis politiques ne leur permettent pas de remettre suffisamment en cause la politique antidémocratique de l’État. Par là, l’opposition a perdu toute légitimité et toute crédibilité au sein de la population libanaise. Mais ce n’est là qu’un terme de l’équation, l’autre terme étant la pression exercée « d’en bas » par les agents de la société civile. L’action de la société civile libanaise a permis l’élargissement de l’espace démocratique. La société libanaise ne peut avoir un développement démocratique durable si la société ne joue pas un rôle central. C’est ce militantisme qui permettra de surveiller continuellement l’État. Il a toujours existé au Liban une société civile dynamique, et ce sous différentes formes. Durant la guerre par exemple, elle a carrément pris le rôle de l’État au niveau des soins de santé, de l’éducation, etc., et c’est ce rôle de promotion et d’ancrage de la démocratie qu’il lui incombe de prendre maintenant. À vous donc les jeunes de maintenir la pression et d’assurer un rôle de leader. À vous donc, ONG militantes et autres membres actifs de la société civile, il incombe de renforcer les capacités d’analyse des jeunes en matière de démocratie et de leur apprendre à assumer leur citoyenneté. À vous donc de proposer des réseaux, des espaces permettant d’apprendre davantage sur la démocratie, de partager des idées et de mener des actions concrètes. À vous donc, les médias, de soutenir la transition démocratique. Ce n’est donc ni l’opposition ni les partis politiques libanais, et encore moins l’État, qui assureront la transition démocratique, mais la société civile, c’est-à-dire la base. Et c’est cette démocratie introduite au niveau de la base qui est authentique et durable. À nous tous donc de monter à bord, de continuer à occuper l’espace public et de concevoir notre propre modèle de démocratie qui prenne en considération les réalités locales (notamment le clivage confessionnel) et qui les transcende. En attendant – espérons-le – l’émergence d’un véritable leader charismatique, capable de former à partir des groupuscules actuels une nation (au vrai sens du terme). Certes, c’est une perspective de long terme ; certes, la classe politique actuelle risque d’en démotiver plus d’un. Mais des virages historiques aussi importants surviennent rarement, et il serait quand même dommage de laisser passer une telle opportunité. Zeina ADAÏMÉ Sociologue

L’attentat du 14 février a bouleversé la dynamique sociale et politique du Liban. Jamais un choc d’une telle ampleur n’avait été enregistré. Du jour au lendemain, les évènements ont propulsé le Liban sur le devant de la scène politique internationale et conduit les différents partis, les communautés et la majorité silencieuse à modifier radicalement leurs positions. La conséquence directe et sans doute la plus palpable en a été le retrait des troupes syriennes du territoire.
Cependant, on ne peut s’arrêter à cet aspect de la conjoncture présente. La fracture a été tellement profonde qu’elle a enclenché une altération des structures sociales et politiques, et des modes de pensée. D’une part nous sommes en présence d’une nouvelle dynamique sociale, et d’autre part nous assistons à...