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Questions à mes amis libanais

Les Français ont toujours eu le Liban au cœur. Et réciproquement je crois. Cela veut dire que nous suivons de très près tout ce qui se passe dans ce pays frère qui ferme la Méditerranée à l’Est et ouvre les portes vers « l’Orient mystérieux » dont parlait le général de Gaulle. À Nouveaux droits de l’homme en particulier qui, depuis 1977, œuvre à la défense et à l’extension des droits de l’homme (environnement, science, culture…) partout dans le monde. Notre première action, d’ailleurs, consista, en solidarité avec les Mères de la place de Mai, à manifester chaque jeudi devant l’ambassade d’Argentine à Paris pour exiger de savoir où étaient les disparus que la dictature avait enlevés en se croyant dispensée de les juger. Cette action constante dura six ans, de 1978 à 1984. Puis la guerre civile, fratricide au Liban, à son tour, nous interpella. Elle était absurde et nous laissa sans voix. Lorsqu’un jour enfin furent signés, à notre grand soulagement, les accords de Taëf qui étaient censés ramener la paix. Plusieurs de nos amis libanais désapprouvaient ces accords qui mettaient le pays du Cèdre sous tutelle syrienne. Mais pour nous, selon la phrase célèbre prononcée par le pape Paul VI lors du premier voyage d’un pape à l’Onu, « avec la paix tout est possible ; sans la paix rien n’est possible ». Le pays, cahin-caha, se releva de ses ruines. C’était au prix de son indépendance, certes, mais il pouvait revivre, reprendre sa respiration, ce qui est tout de même l’essentiel. Les accords de Taëf, cependant, étaient inscrits dans le temps. Ils ne pouvaient durer éternellement sauf à en violer l’esprit et la lettre. Qui plus est, la Syrie avait pour charge de rétablir un État de droit démocratique, non de bafouer le droit. Or, sans même évoquer les aspects politiques, sur le strict plan des droits de l’homme, nous avons appris l’arrestation puis l’incarcération (sans jugement le plus souvent) de nombreux citoyens libanais hors de leur pays, en Syrie. Beaucoup d’entre eux furent torturés, sans possibilité de communiquer avec leurs familles. Souvent les autorités libanaises et syriennes allèrent même jusqu’à nier l’existence de ces détenus, voire, quand les parents osaient dénoncer ces emprisonnements arbitraires, des pressions ou des menaces, de la part des services de renseignements de l’un ou l’autre pays, étaient exercées sur eux. Par pertes et profits En 2000, le gouvernement libanais a enfin accepté de former une commission d’enquête. Présidée par un militaire, bien sûr, hors de tout représentant de la société civile – celle qui fait vivre les droits de l’homme. Le résultat en est connu : toute personne disparue depuis plus de quatre ans devait être considérée comme décédée. Comme dans le scénario argentin. En 2001, une nouvelle commission vit le jour sous la houlette du ministre d’État chargé de la réforme administrative. Au bout de deux ans, ladite commission a rendu son rapport au procureur général sans qu’on en connaisse la teneur. C’est dire… Malgré tout, le 26 juin 2001, devant la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française, le président syrien, sans sourciller, n’hésita pas à affirmer qu’il n’y avait aucun Libanais détenu en Syrie. Preuve de sa « sincérité », il affirma que la Syrie était prête à examiner toute plainte qui serait présentée. Sans suite, bien entendu, sous prétexte que les preuves avancées n’étaient pas assez pertinentes. Ainsi va la justice dans les pays « démocratiques ». Mais qui se faisait encore des illusions tant que la botte syrienne oppressait le Liban ? Depuis peu, la France, avec les États-Unis, puis les Nations unies dans leur totalité, par la résolution 1559, ont exigé l’évacuation du Liban par la Syrie dont on pouvait légitimement considérer que sa mission avait été remplie. Cependant, malgré de nombreuses requêtes, l’affaire des prisonniers ou disparus, exfiltrés vers la Syrie, n’a pas figuré dans le texte de l’Onu. Ils ont été passés par pertes et profits… Le tsunami Hariri On aurait pu penser alors, après le séisme provoqué dans le monde par le lâche assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri et l’engagement syrien de quitter le Liban, que les Libanais eux-mêmes (du moins ceux qui ne sont pas prosyriens) auraient mis en avant, dans leurs doléances, cette revendication légitime. Il n’en a rien été. Les prisonniers libanais pourront continuer à croupir dans les geôles de Damas dans l’indifférence – s’ils ne se sont pas volatilisés comme par enchantement. En tant qu’ONG près l’Onu, NDH le déplore. Je le disais encore récemment à Buenos Aires où j’apportais le fonds « Argentine » constitué de films, photos, documents pour le futur musée des droits de l’homme voulu par le président Kirchner : « Les droits de l’homme » au passé, « dans un musée, certes. Mais les droits de l’homme aussi sont vivants. Ils exigent la justice. Sans transparence, sans justice, la démocratie ne peut vivre ». Dès lors, lorsque l’on n’a pas un double langage, je dirai la même chose à nos amis libanais, avec les mots qu’ont utilisés les Argentins, les Chiliens, les Uruguayens… durant des années : « Donde estan ? Où sont-ils ? » La Syrie doit répondre. Comme il est écrit dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, « nul ne peut être détenu arbitrairement ». Et ce n’est certainement pas moi qui ai poussé un « ouf » de soulagement lors des accords de Taëf contre l’avis de mes frères et sœurs libanais que l’on peut accuser d’être un vulgaire antisyrien primaire. Je respecte ce pays. Mon vœu le plus cher est donc que les élus du Liban, tous partis confondus, mettent cette revendication à l’ordre du jour comme gage de résurrection de leur pays et de sa démocratie. Et pourquoi pas, parlant comme Martin Luther King (« I have a dream »), que la Syrie elle-même devienne une démocratie. De toute façon, tôt ou tard, il faudra bien répondre. Car la France avec l’Argentine, le Chili, etc. préparent une convention internationale sur les disparitions forcées afin de faire cesser de telles pratiques. Qu’importe, diront les malins, puisqu’un texte de droit ne peut être rétroactif, ce qui est exact. Mais qu’ils n’oublient pas cependant qu’il s’agit en l’occurrence de crimes contre l’humanité et qu’à ce titre, ils sont imprescriptibles. Donc les auteurs de ces crimes seront rattrapés pourvu que les familles ne baissent jamais les bras. Nous les y aiderons. Pierre BERCIS Président de Nouveaux droits de l’homme-France Vice-président de NDH-International
Les Français ont toujours eu le Liban au cœur. Et réciproquement je crois. Cela veut dire que nous suivons de très près tout ce qui se passe dans ce pays frère qui ferme la Méditerranée à l’Est et ouvre les portes vers « l’Orient mystérieux » dont parlait le général de Gaulle. À Nouveaux droits de l’homme en particulier qui, depuis 1977, œuvre à la défense et à l’extension des droits de l’homme (environnement, science, culture…) partout dans le monde. Notre première action, d’ailleurs, consista, en solidarité avec les Mères de la place de Mai, à manifester chaque jeudi devant l’ambassade d’Argentine à Paris pour exiger de savoir où étaient les disparus que la dictature avait enlevés en se croyant dispensée de les juger. Cette action constante dura six ans, de 1978 à 1984.
Puis la guerre...