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EN DENTS DE SCIE Formations accélérées

Neuvième semaine de 2005 (J + 19). À chacun son noviciat. Qu’il s’accomplisse dans l’évidence, la communion et l’espérance (un), qu’il s’opère à l’ombre d’une acuité démocratique et d’un sens aigu des responsabilités (deux), ou alors qu’il soit subi de plein fouet mais avec cette inconcevable nonchalance déréalisante à souhait et qui avorte tout (trois), l’apprentissage auquel se livrent celles et ceux qui font que le Liban d’aujourd’hui continue, depuis dix-neuf jours, de sidérer, dans le bon comme dans le mauvais sens, non seulement les spectateurs locaux, régionaux et internationaux de cette anamorphose providentielle (ou de cette stagnation insensée) de la mentalité libanaise, mais aussi ses acteurs mêmes attelés, vaillamment ou à reculons, à l’écriture de l’histoire. Un : les Libanais sont désormais un peuple arc-en-ciel qui, déjà, en l’état, n’a rien à envier aux Sud-Africains de l’après-apartheid. Des centaines de milliers, des millions d’hommes et de femmes dont le seul dénominateur commun est un passeport portant les mêmes estampilles, qui, dépassant leurs appartenances communautaires, leurs âges, leurs obédiences politiques, mettent de côté leurs statuts sociaux et leurs centres d’intérêt pour apprendre, souverainement, à se connaître puis à s’accepter et, enfin, à œuvrer ensemble en regardant le même horizon, quels que soient les obstacles que des volontés criminelles multiplient sur le chemin : voilà un peuple arc-en-ciel. Et désormais, depuis le 14 puis le 28 février, ce peuple est devenu le principal destinataire des déclarations, des encouragements et des énergies des puissants de la planète qui voient en lui, certes pour un instant, ses beaux yeux, mais, surtout, sa capacité à contaminer de la façon la plus positive qui soit un bien fatigant (et fatigué) Proche-Orient. Désormais, ce peuple servira de modèle à tous ceux, dans la région, qui veulent mais qui n’osent pas, qui ont la foi mais qui ne peuvent pas – l’émir du Qatar ne s’y est pas trompé : « Les peuples arabes saluent le peuple libanais », avait dit ce brave homme. Désormais, ce peuple sera, un jour ou l’autre, la seule source du pouvoir au Liban. Sauf que la flamme doit être entretenue, le rendement décuplé, l’action magnifiée, le souffle doit être long, très long, la dynamique amplifiée, l’apprentissage mené à bout. Pour cela, le peuple a besoin des pôles de l’opposition plurielle, de leur imagination, de leur engagement, de leur proximité, de leurs dollars, de leur sens de l’organisation, de leur détermination. Deux : l’opposition nationale est on ne peut plus plurielle, sans doute l’une des plus multiples de l’histoire contemporaine, avec le Bloc national, le Courant du futur, le Courant patriotique libre, les Forces libanaises, le Forum démocratique, la Gauche démocratique, Kornet Chehwane, le bloc (des députés haririens) de Beyrouth, le bloc du Rassemblement démocratique, l’opposition Kataëb et le Mouvement réformiste kataëb, le PSP, le Mouvement du renouveau démocratique, et les notables (parlementaires ou pas) indépendants. C’est énorme. Sauf que cet évident handicap de départ, la vulnérabilité née de cette incongrue diversité de courants de pensée, de ces calculs individuels assez légitimes en temps normaux, de cette volonté des uns et des autres de ne pas se diluer dans un magma informe, acétoné, peuvent se transformer en une force inouïe, à même de canaliser au-delà des espérances les attentes et les revendications citoyennes, à même, surtout, de constituer un formidable réservoir humain et politique, nécessaire et suffisant pour l’installation d’un pouvoir de substitution qui n’a que trop tardé. Cette transformation a des conditions sine qua non. Comme la rue, l’opposition plurielle doit poursuivre chaque heure, chaque instant le long et dur apprentissage du métissage, de ce qu’il impose comme acceptation de l’autre, comme concessions et comme soumission à la majorité, pour une fois, du nombre. Comme la rue, l’opposition plurielle ne peut pas oublier que la moindre, la plus infime des brèches sera surexploitée par le pouvoir et son tuteur pour un anéantissement sans retour, une implosion de cette opposition, un silence de mort de la rue. Chacun des membres de cette opposition sachant, évidemment, que toute incartade personnelle, toute ambiguïté dans le fond comme dans la forme équivaudront à un véritable suicide politique et populaire. Trois : seul désormais (aux côtés d’un Nabih Berry et d’un Hassan Nasrallah visiblement et subtilement prompts à deviner les vents nouveaux), seul donc, depuis la démission de Omar Karamé, à incarner un pouvoir délégitimé, disqualifié et isolé de partout, du dedans comme du dehors, Émile Lahoud a apparemment décidé de commencer un tout aussi astreignant apprentissage, dans le sens inverse des deux autres. L’apprentissage déréalisant, étouffant d’une tour d’ivoire aux fenêtres absolument toutes condamnées mais qui ne réussissent pas à empêcher les clameurs de la rue de s’infiltrer sous les rideaux de fer. Et de se propager. Le locataire de Baabda continuait, jusqu’à hier, d’appeler au dialogue comme il le fait, certes, depuis longtemps, mais comme si de rien n’était. Comme si le 14 février n’avait pas existé. Comme si les fantômes de Hariri, de Ghalayini, d’Abou-Rjeily, des autres victimes n’étaient pas devenus totalement surdimensionnés, gigantisés, comme s’il ne s’étaient pas faufilés à l’intérieur de chaque Libanais pour lui révéler, comme une évidence, l’impossible viabilité d’un régime sécuritaire, oppressif, «tutellisé». Comme Rafic Hariri le 3 septembre dernier, levant contre toutes les logiques du monde la main pour approuver la prorogation d’un mandat par avance illégitime, Émile Lahoud, s’il souhaite inverser le cours de son apprentissage et contribuer à la renaissance du Liban, devrait offrir au peuple libanais, qui l’exige, le même sacrifice consenti il y a quelques mois par son ancien Premier ministre martyr. En signant, en partant, en réagissant, peu importe : qu’il écoute, qu’il entende, pour une fois, un peuple qu’il a, par sa faute, perdu. Ziyad MAKHOUL
Neuvième semaine de 2005 (J + 19).
À chacun son noviciat. Qu’il s’accomplisse dans l’évidence, la communion et l’espérance (un), qu’il s’opère à l’ombre d’une acuité démocratique et d’un sens aigu des responsabilités (deux), ou alors qu’il soit subi de plein fouet mais avec cette inconcevable nonchalance déréalisante à souhait et qui avorte tout (trois),...