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EN DENTS DE SCIE - Le syndrome de Stockholm

Vingt et unième semaine de 2004. Qui a écouté – même pas entendu – au cours de ces sept derniers jours l’appel de la CGTL à une grève pour dire non à la politique fiscale, financière et économique du gouvernement, non à la hausse de l’essence ? Quelques jours plus tôt, le taux de participation des deux premières éditions municipales n’avait absolument rien de reluisant, notamment à Beyrouth. Quelques semaines, quelques mois plus tôt, les manifestations estudiantines commençaient à devenir vite solubles dans les exactions « démocraticides » d’un pouvoir fasciné par l’ultrasécuritaire mais qui ne craint pas de montrer, en exhibant sa peur des jeunes, toute l’étendue de ses faiblesses. Sans compter que, depuis 1992, chaque citoyen a eu toutes les occasions possibles et imaginables d’exprimer ses frustrations, ses craintes, ses colères, s’approprier sa rue, participer à la chose publique dans sa compréhension la plus droite et dénoncer la paupérisation galopante aussi bien que la catastrophique gouvernance qu’il est bien obligé de subir depuis plus de douze ans. Le Libanais donne jour après jour, depuis des années, des signes chaque fois plus patents, chaque fois plus poignants de son désintérêt, de ses désillusions, de sa désespérance, de son indifférence et, en un mot comme en cent, de son abdication. Ce n’est pas tant une CGTL noyautée par tel ou tel parti et inféodée aux desiderata syriens qui est le problème : il est particulièrement regrettable certes, mais très naturel, que cette confédération ait perdu aujourd’hui tout pouvoir moteur et même fédérateur. Ce n’est pas tant, non plus, le très oriental Libanais, paresseux et fataliste à la fois, qui est le problème. Un Libanais devenu d’ailleurs le parangon absolu du spectateur lymphatique de sa propre évolution, de son présent et de son « no futuro ». Même s’il continue de sidérer la planète par sa (belle) capacité à ressusciter seulement pour les autres : Irakiens, Palestiniens, femmes dévoilées en France – et encore, ce n’est valable que pour une frange bien précise des habitants de ce pays message. Le véritable problème, c’est cette javellisation abrasive et hypnotique avec laquelle les pouvoirs successifs de l’après-guerre ont usé et abusé – avant de les suicider – de concepts essentiels à l’éveil citoyen, à la participation réelle et efficace des Libanais dans la gestion de la collectivité autrement que par le biais d’élections perverties au départ et jusqu’à la moelle par des lois malsaines –, des élections agitées comme autant de miroirs aux alouettes par des régimes uniquement soucieux d’assurer la reconduction de leurs membres. Ces concepts désormais défunts sont le pays, l’État, la nation, la souveraineté, l’indépendance, les libertés fondamentales, la justice indépendante, l’État de droit, les droits de l’homme, les droits tout court, les devoirs, le contrat social, l’égalité pour tous et, enfin, surtout, la fin de la guerre. Totalement criminel, cet ersatz d’État est en train de finir aujourd’hui une opération vieille d’une longue décennie, lorsqu’il a commencé à capturer et kidnapper ses propres citoyens. Et par une espèce de syndrome de Stockholm vicié et pathogène, les Libanais, à défaut de devenir ces captifs amoureux, se sont noyés, lentement, sûrement, dans le fait accompli imposé par l’État, se transformant ainsi, pour ceux qui n’ont pas émigré, en quelques millions de laissés-pour-compte, résignés, consentants malgré eux. Comme autant de belles au bois dormant, rassurées par ce sommeil « bienfaisant qui suspend leurs maux », par ce constat terrible si cher à Camille Desmoulins : « On n’a pas le sentiment de sa captivité, on est libre quand on dort ». Parce qu’ils dorment, les Libanais ; ils ne sont ni morts ni dans le coma. Encore faut-il qu’ils se souviennent que leur réveil ne tient qu’à eux – et seulement eux. Ziyad MAKHOUL
Vingt et unième semaine de 2004.
Qui a écouté – même pas entendu – au cours de ces sept derniers jours l’appel de la CGTL à une grève pour dire non à la politique fiscale, financière et économique du gouvernement, non à la hausse de l’essence ? Quelques jours plus tôt, le taux de participation des deux premières éditions municipales n’avait absolument rien de...