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Témoignages Démesure et paradoxes : l’expérience libanaise de Yasser Arafat (photO)

La disparition de Yasser Arafat n’est pas sans ouvrir à nouveau la boîte à souvenirs souvent douloureux, jamais totalement close, de la guerre du Liban. Ainsi le personnage continue-t-il de susciter les réactions les plus vives plus de vingt ans après son départ du pays du Cèdre. Le temps, qui passe pour cicatriser les plaies les plus profondes, n’a apparemment toujours pas fait son office. Les personnalités libanaises interrogées hier par L’Orient-Le Jour ont bien connu Arafat, directement ou indirectement. Certaines ont été ses alliées face aux milices chrétiennes, puis à Israël, d’autres l’ont combattu férocement jusqu’à l’épuisement. Les témoignages et les impressions concernant le leader défunt sont contradictoires, même si tous mettent en évidence l’intelligence, la ruse et la ténacité de Arafat. Antoine Najm, ancien compagnon de Béchir Gemayel au sein des Forces libanaises, exprime immédiatement sa haine de Arafat jusqu’à ce jour. Il en est de même pour Fouad Chémaly, jadis représentant du Tanzim au sein du Front libanais, ou de Obad Zouein, autrefois membre du bureau politique de cette formation, qui a combattu les fedayine palestiniens, notamment à Tallet el-Mir, lors de la bataille de Tall el-Zaatar. « C’était mon ennemi, je l’ai combattu. Nous l’avons accueilli chez nous, au Liban, il nous a tiré dessus. Si j’ai pris les armes à cette époque, c’était pour me battre contre les Palestiniens. Sinon, je ne l’aurais probablement jamais fait », dit-il, estimant que le mythe de la résistance palestinienne au Liban a été « créé de toutes pièces par les régimes arabes pour faire oublier la défaite de 1967 ». Également témoin de cette époque, puisqu’il s’est battu dans les rangs du PNL, Dory Chamoun se souvient de trois rencontres entre Camille Chamoun et Arafat en sa présence, rue de Verdun, en 1975. « Il y avait eu une tentative de rapprochement entre les deux camps. Arafat était pour une solution. Mais son initiative avait irrité Kamal Joumblatt et l’URSS, et, par suite, n’avait plus abouti », se souvient-il. Joseph Abou Khalil évoque, de son côté, une réunion en 1968-1969 entre Arafat, Pierre, Amine et Béchir Gemayel à déjeuner. « Je me souviens qu’il nous avait dit : “Vous verrez, l’État palestinien n’est qu’une question de temps”. Je ne l’avais pas trop pris au sérieux. En réalité, nous avons tenté à plusieurs reprises d’aboutir à une solution, mais c’était difficile : nous avions tous les deux raison », indique-t-il, en évoquant une tentative de rapprochement entre Yasser Arafat et Béchir Gemayel à l’ambassade du Koweït, en 1976. Dans la même perspective, Michel Aoun, qui a combattu les Palestiniens, notamment à Tall el-Zaatar et à Saïda, indique: « Nous voulions les contrôler sans briser leur cause. Il fallait qu’ils rentrent en Palestine. Arafat est à l’origine de beaucoup de dérives au Liban, mais il revient désormais à l’histoire de le juger. En fait, nous étions tous perdants dans ce conflit. » Aoun évoque sa rencontre avec Arafat à Tunis, en 1989: « Je lui ai dit que la cause palestinienne n’avait pas sa place au Liban et qu’elle n’y courait donc aucun danger. Il m’a indiqué qu’il mettait son fusil à ma disposition. Et il n’y a pas eu de problèmes avec les Palestiniens durant cette période. » L’ancien président Amine Gemayel rappelle que Arafat a été « critiqué par les uns et les autres tout au long de son parcours, tout en étant respecté comme symbole de la cause palestinienne, qu’il a su garder vivante dans les cœurs et les esprits ». Et d’évoquer trois rencontres: « La première lors de l’enlèvement de Béchir, en 1975. Pour nous, il était le diable. Mais j’avais été sidéré par son accueil. Il nous a reçus comme des alliés, des amis de longue date, comme s’il n’y avait jamais eu de problèmes entre nous. Il avait la capacité de concilier les inconciliables. Ensuite, je l’ai vu durant le siège de Beyrouth, en 1982. C’était une rencontre pathétique. Il ne savait pas s’il serait toujours en vie ou prisonnier des Israéliens le lendemain. Il se sentait seul, abandonné par ses alliés. Il recherchait le martyre, le sacrifice ultime. Cette rencontre était un testament. Il avait fait son mea culpa et j’avais essayé, paradoxalement, de le réconforter. Il pensait que les Palestiniens avaient fait une erreur en trempant dans la politique libanaise, qu’ils avaient mal agi avec les Libanais. Enfin, je l’ai revu à Tunis. Il m’a contacté par téléphone, il y a quelque mois, lorsqu’il était assiégé. Il m’avait confié ses déboires avec les Israéliens. Il bénéficiait de cette baraka contre tous les mauvais sorts. » Comment Béchir Gemayel a sauvé la vie de Arafat La première rencontre de Karim Pakradouni avec le « khitiar », en Jordanie, remonte à l’époque où il était à la section estudiantine des Kataëb : « Je me souviens de cette phrase lors de cette première réunion : “Jérusalem sera la capitale de l’État palestinien, et le Liban le modèle (de coexistence)”. » Pakradouni évoque également la détermination de Arafat d’arrêter la guerre en 1976 pour éviter à tout prix l’entrée des Syriens au Liban. Il rappelle ensuite les vives inquiétudes du leader palestinien avant l’élection de Béchir Gemayel à la présidence, en 1982. « Mais une fois Béchir élu, il m’a dit: “Maintenant qu’il est président, je voudrais que chacun de nous assume ses responsabilités”. » Il se souvient ensuite d’efforts déployés pour une dernière réunion entre le président-élu et Arafat, avant le départ des Palestiniens de Beyrouth: « Tout avait été arrangé avec Élie Hobeika et Johnny Abdo. Mais Béchir a disparu à l’heure de la réunion. Pour réapparaître seulement douze heures plus tard. Interrogé sur son absence, il a répondu qu’il pensait qu’il était peut-être pisté par les Israéliens et que sa présence à cette réunion aurait mis en danger la vie de Arafat. Ces derniers voulaient l’éliminer. Il s’est donc abstenu. » Enfin, Pakradouni évoque cette phrase que lui a confiée Arafat en 1986 à Tunis: « Au Liban, nous avons perdu la route de la Palestine. » « J’ai épousé la révolution » Élias Atallah, ancien compagnon de Arafat puisque membre du PCL et du Mouvement national, a combattu à ses côtés: « Il avait un style de vie semblable à celui des combattants palestiniens, avec les mêmes besoins minimaux. Il négociait avec Philip Habib jusque dans les plus petits détails, avec une mallette reliée à des satellites. Il était froid, cohérent avec lui-même. Je me souviens qu’en 1982, il était entré dans une colère froide lorsque George Habache et Nayef Hawatmeh refusaient de quitter Beyrouth. Il détestait la surenchère. » Atallah et Nadim Abdel Samad, autre responsable communiste à l’époque, se souviennent que Arafat a dormi avec eux durant une semaine dans le sous-sol du QG du PCL, à Beyrouth, sur des matelas de fortune, qu’il refusait de vivre dans la clandestinité et qu’il prenait des risques. Abdel Samad, qui l’a très bien connu, évoque l’obsession principale du chef palestinien durant toutes ces années: rentrer en Palestine. « Il m’a dit un jour : “Plutôt être moukhtar en Palestine que chef de n’importe quel État arabe”. Il voulait regagner la Palestine à tout prix, contrairement à la célèbre formule d’Abou Ayad sur Jounieh. » « Il m’a dit aussi un jour, durant le siège de Beyrouth : “Le coup qui ne me brise pas me renforce”. Il tenait à transformer sa défaite en renaissance politique », poursuit-il en évoquant la longue lutte de Arafat pour préserver la cause palestinienne de sa récupération par les régimes arabes, notamment la Syrie. Une autre phrase qui a marqué Abdel Samad: « On lui a demandé un jour combien de temps il allait continuer à vivre ainsi, sans s’installer. S’il ne pensait pas au mariage, à fonder un foyer. Et il a répondu : “J’ai épousé la révolution”. » Des noces de platine, pour le meilleur et, souvent, pour le pire. Michel HAJJI GEORGIOU
La disparition de Yasser Arafat n’est pas sans ouvrir à nouveau la boîte à souvenirs souvent douloureux, jamais totalement close, de la guerre du Liban. Ainsi le personnage continue-t-il de susciter les réactions les plus vives plus de vingt ans après son départ du pays du Cèdre. Le temps, qui passe pour cicatriser les plaies les plus profondes, n’a apparemment toujours pas...