CITOYEN GROGNON Resquilleurs dans le sang

Faites la queue comme tout le monde ! On ne compte plus les fois où l’on a entendu cette phrase, lancée souvent dans un élan d’humeur, face à l’indiscipline des uns et des autres. On ne compte plus les fois où l’on a soi-même craché cette phrase, à l’intention des resquilleurs, tout en les foudroyant du regard. Qu’ils soient jeunes ou moins jeunes, qu’ils fassent leurs classes sur les bancs des écoles huppées ou sur ceux du secteur public, qu’ils soient cadres supérieurs ou chauffeurs de taxi, qu’ils parlent français avec distinction ou libanais avec l’accent du terroir, cette manie de resquiller à la libanaise, ils l’ont tous. Et dans le sang ! Le pire, c’est qu’il faut s’en accommoder et les digérer à toutes les sauces. À la banque ou dans les administrations publiques, il y aura toujours un abruti pour venir, mine de rien, se faufiler entre vous et le comptoir, et remettre sa formalité sous votre nez à l’employé de fonction. L’employé, lui, prendra les paperasses tendues, l’air absent, on ne peut plus indifférent à votre problème. Car après tout, votre tour ou celui du voisin, il n’en a cure. Au spectacle, durant l’entracte, alors que vous faites sagement la queue pour aller au petit coin et tentez de calmer votre enfant qui piaffe d’impatience, rebelote. Une belle adolescente, l’air ingénu, vous passe devant, sans pour cela daigner vous accorder le moindre regard. Faites la queue comme tout le monde ! dites-vous. Mais, imperturbable, elle vous écrase de ce regard méprisant, comme pour dire : Cause toujours, j’y suis, j’y reste ! Sur les routes. Ah ! Ces routes sur lesquelles le citoyen passe la majeure partie de son temps ! Les resquilleurs, c’est à la pelle qu’on les cueille. Vous roulez sagement sur une voie embouteillée, sans vraiment prêter attention au trafic, quand un hurluberlu vous double et vous fait une queue de poisson si magistrale, histoire d’échapper à ce bouchon, que vous ne pouvez vous empêcher de réagir. Passera, passera pas ? C’est à qui aura le meilleur réflexe. Alors que vous bouillonnez d’énervement, il passe carrément sur l’autre voie. Vos principes ? Il n’en a rien à cirer ! Lui, il est pressé, et tant pis pour vous et pour tous ceux qui ont des principes. On ne compte plus les fois où l’on a soi-même resquillé, par ras-le-bol, juste pour faire un pied de nez à tous ceux qui nous ont, un jour, pris le tour. Et qui ne savent pas, ne veulent pas, et n’apprendront jamais à attendre leur tour. Anne-Marie EL-HAGE