Enfant, il m’est souvent arrivé de fouler, au hasard des promenades en montagne, des conques pétrifiées, fossiles marins enfouis parmi les pervenches, les baies sauvages et les aiguilles de pin. Comment ne pas y songer, alors : Ces sommets étaient des îles que la mer retirée avait hissées là. Vagues géantes figées dans un dernier roulis, et tout à coup livrées à des solitudes arides que seul le soleil baigne encore de couleurs, aux couchants de l’été. La montagne fait partie de nos vies. C’est écrit dans les brochures touristiques : le Liban vend de la montagne aux skieurs, de la plage aux bronzeurs, les deux à la fois à certaines saisons et selon arrivage. De nos fenêtres, quand la mer se démonte, quand les éléments se déchaînent et que la pluie ruisselle sur le macadam, emportant dans son flot les...
Actualités - OPINION
Impression Neige
le 24 janvier 2004 à 00h00
Enfant, il m’est souvent arrivé de fouler, au hasard des promenades en montagne, des conques pétrifiées, fossiles marins enfouis parmi les pervenches, les baies sauvages et les aiguilles de pin. Comment ne pas y songer, alors : Ces sommets étaient des îles que la mer retirée avait hissées là. Vagues géantes figées dans un dernier roulis, et tout à coup livrées à des solitudes arides que seul le soleil baigne encore de couleurs, aux couchants de l’été. La montagne fait partie de nos vies. C’est écrit dans les brochures touristiques : le Liban vend de la montagne aux skieurs, de la plage aux bronzeurs, les deux à la fois à certaines saisons et selon arrivage. De nos fenêtres, quand la mer se démonte, quand les éléments se déchaînent et que la pluie ruisselle sur le macadam, emportant dans son flot les lumières glauques des enseignes en mal de chaland, on sait qu’au matin on pourra sentir dans l’air ce froid blanc qui cinglera les joues, et sans voir, on comprendra. Les montagnes, encore noires, la veille, de boues et de longs crépuscules, auront reçu dans la nuit de quoi resplendire pour l’hiver. La neige, même lointaine, imperceptiblement feutrera les bruits de la ville, picotera la langue de son goût minéral, parfumera l’atmosphère d’essences inexplicables, mêlant à la terre des effluves du ciel.
Alors nous aurons des nostalgies grégaires, et nous irons là-bas. Alors nous aurons envie d’être nombreux autour d’un feu de bois, veillant jusqu’à la dernière braise, à même le sol, écalant des marrons brûlants du bout de nos doigts trop tendres, les laissant s’échapper parfois quand la douleur est trop vive. Alors nous boirons, et l’alcool fera en nous sa flambée de brindilles, feindra de nous réchauffer et aussitôt pris de frissons nous en redemanderons de crainte que les rires ne retombent. Et puis nous irons marcher, et dans la nuit glacée nous aurons l’air de spectres grelottants. Nos paroles, sifflées entre nos dents serrées, s’inscriront devant nos lèvres, buées fugitives, pensées suspendues. Enfin pelotonnés sous les couvertures dans les chalets trop chauds en début de nuit, nous regarderons les flocons épouser les flocons, vol nuptial, valse légère, frou-frou d’étoiles. Le matin, il sera long le petit déjeuner ce repas de vacances. Il aura le goût du temps libéré de l’heure, celui-là même que rien n’épuise. Tout à l’heure les télésièges reprendront leur farandole. La barre froide sous les genoux, une poussée, une petite secousse, l’envol. Tout à l’heure l’ivresse, le ski, les jambes qui partent à des vitesses qui ne sont pas les leurs. Grâce des hanches qui épousent les flancs neigeux, rusent avec l’équilibre, défient la gravité de leur danse impeccable. Il y aura des chutes, des contusions, de ces jolis coquards dont la neige, possessive, vous marque comme d’un souvenir amoureux. D’ailleurs, lundi, nous aurons pour eux des regards attendris.
Fifi ABOUDIB
Enfant, il m’est souvent arrivé de fouler, au hasard des promenades en montagne, des conques pétrifiées, fossiles marins enfouis parmi les pervenches, les baies sauvages et les aiguilles de pin. Comment ne pas y songer, alors : Ces sommets étaient des îles que la mer retirée avait hissées là. Vagues géantes figées dans un dernier roulis, et tout à coup livrées à des solitudes arides que seul le soleil baigne encore de couleurs, aux couchants de l’été. La montagne fait partie de nos vies. C’est écrit dans les brochures touristiques : le Liban vend de la montagne aux skieurs, de la plage aux bronzeurs, les deux à la fois à certaines saisons et selon arrivage. De nos fenêtres, quand la mer se démonte, quand les éléments se déchaînent et que la pluie ruisselle sur le macadam, emportant dans son flot les...