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LOISIRS - La colombiculture, une passion à part entière Le pigeon voyageur conquiert l’espace et les cœurs (photos)

«Sous mes ailes il est écrit : qui m’aime jamais ne m’oublie ». Cette citation, très connue par les éleveurs de pigeons, est on ne peut plus vraie. Tous les amateurs le diront : l’amour que l’on porte pour ses pigeons n’a pas d’égal. Et celui qui a eu le malheur d’en élever quelques-uns est contaminé à vie. Imad Alameh, colombiculteur depuis plus de 30 ans, abonde dans le même sens lorsqu’il affirme que « personne au monde ne réussira à détourner un éleveur de pigeons de sa passion ». Contrairement à ce qu’on aurait tendance à croire, cette activité, qui s’est quelque peu perdue durant la guerre, continue d’enthousiasmer les Beyrouthins, dont beaucoup de jeunes qui pratiquent l’élevage du haut de leur toit. Il suffit de scruter le ciel de la capitale à partir de 16 heures pour comprendre un tant soit peu le secret d’un engouement pas comme les autres. Dessinant de magnifiques chorégraphies aériennes sur un fond d’azur rouge sang, les formations de pigeons nous emportent, dans l’élégance de leur mouvement, sur le chemin de l’évasion.
C’est ce que confient les colombophiles, qui se disent « transportés » par le spectacle de ces « chevaliers du ciel » qu’ils ont patiemment entraînés avant leur premier envol . « Dès que je les lâche en liberté, c’est moi qui suis délivré. Je me sens au septième ciel », confie Imad Alameh, un des plus grands éleveurs au Liban.
Traducteur de profession, il consacre la moitié de sa journée à son colombier riche de 350 pigeons appartenant à plusieurs espèces.
Imad Alameh tient une partie de son savoir-faire de ses arrières-grands-parents, qui ont éduqué leurs enfants et leurs petits-enfants à l’amour de cet oiseau domestique. Devenu un expert, notamment en matière de croisement sélectif, il a réussi grâce à ses recherches et sa persévérance à créer une nouveau genre de pigeon baptisé « le Beyrouth ». De taille moyenne et d’allure sportive, il a pour caractéristique un bec et des tours d’yeux d’un rouge très vif et écarlate. Arborant un noir de jais aux reflets verdâtres, le nouveau pigeon a valu à son créateur une renommée internationale et une place parmi les plus grands. Aujourd’hui, il rêve de rendre à cette activité ses lettres de noblesse en fondant un syndicat de colombiculteurs digne de ce nom et un magazine spécialisé. « D’abord, dit-il, pour qu’amateurs et professionnels puissent échanger des informations scientifiques utiles à la préservation du patrimoine libanais ». Celui-ci comprend au moins trois grandes familles : les « Beyrouths » appelés également pigeons à fanon, les « Libanais » et les « Colombidés », les espèces très prisées en Europe.
« Parmi les colombiculteurs libanais, on trouve de nombreux cadres, dont des pharmaciens, des médecins et des intellectuels », indique Imad Alameh qui cherche à modifier l’image que les gens ont des éleveurs de pigeons, à savoir des personnes peu dignes de respect ou de confiance. Au Liban, ces derniers sont mal vus à cause de certaines pratiques considérées, à tort, comme du vol. Or, explique l’éleveur, le monde des colombiculteurs est régi par tout un rituel que seuls les initiés peuvent comprendre. Parmi les principes établis, celui de « la chasse » ou de « la conciliation ».
La règle, explique Imad Alameh, consiste à lâcher des oiseaux entraînés à la « spartiate » qui devront répondre aux signes et aux appels de leur maître. Au lâcher, le groupe gagnera rapidement de l’altitude et ira à la quête d’un autre groupe de pigeons appartenant à un autre « joueur ». Lorsque le groupe lâché trouve une autre équipe, les deux blocs fusionnent pour se scinder sitôt après, chacun rejoignant sa famille respective. « S’il arrive qu’un ou plusieurs pigeons de l’équipe adverse collent à la formation, le gagnant usera de toute son habilité pour les faire atterrir sur son colombier et les capturer à l’aide de filets spéciaux ». C’est à ce moment-là que le propriétaire rival réapparaît sur scène, venant réclamer ses « soldats » pris en otage. La règle de la « chasse » consiste à lui réclamer une rançon, à moins de se résoudre à trouver une solution « conciliatoire ». Celle-ci consiste à lui restituer les oiseaux captifs, une formule qui permet en même temps de gagner une nouvelle amitié.
C’est souvent autour d’une tasse de thé que ce genre de « litiges » est réglé, explique Ahmed Beydoun, le moukhtar d’Achrafieh qui s’est découvert une passion pour les oiseaux dès son plus jeune âge. À Beyrouth, des cafés spécialisés sont consacrés à ce troc, où les perdants viennent négocier le retour de leurs pigeons. Les colombiculteurs s’y rendent également pour échanger des informations ou tout simplement pour acheter les dernières espèces disponibles sur le marché. « C’est un véritable point de rencontre entre les amateurs du genre, où la convivialité est le maître-mot », précise M. Beydoun qui fréquente souvent ces lieux dans le but de renouveler son lot. Dans son pigeonnier, perché au cinquième étage de l’immeuble, paradent près de 400 pigeons qu’il a élevés soigneusement. On y reconnaît le Damascène, le Cravaté oriental, le Bagadais, le Bronzé libanais, le Miroité libanais, autant de noms évocateurs qu’il cite avec tant de fierté.
À ses préférés, il a fait porter des bijoux, boucles d’oreille et bracelets aux pattes dont le tintement se mêle harmonieusement aux roucoulements intermittents qui animent le colombier. « Mes pigeons sont comme les femmes. Beaux, coquets et irrésistibles », dit le moukhtar sur un ton humoristique.
Cet éleveur raconte combien de fois il a fini par craquer devant le spectacle d’un nouveau couple exposé en ville, qu’il s’empresse d’acheter parfois au plus haut prix. Souvent il fait venir d’Europe, à l’aide de son frère qui est pilote, des pigeons racés pour lesquels il sacrifie également une fortune. Vantant les innombrables qualités de cet oiseau, il souligne que, contrairement à l’homme, la fidélité est la caractéristique majeure du pigeon, qui est absolument monogame. Autre trait distinctif de cet oiseau, explique l’éleveur, le sens de l’orientation qui en a longtemps fait un des plus intelligents sur terre mais également un des plus utiles. « L’appellation de pigeon voyageur ne relève pas de la simple littérature. Le pigeon a de tout temps été employé comme messager durant les guerres », rappelle M. Beydoun, qui raconte que lui-même a dû recourir à ce moyen de communication durant la guerre civile pour correspondre avec sa mère, qui habitait à l’autre bout de la capitale.
L’ idée de « pigeon soldat » vient d’ailleurs d’être reprise par l’industrie britannique du cinéma d’animation qui a décidé de miser sur un héros d’un nouveau genre : Valiant, le pigeon voyageur est engagé en pleine Seconde Guerre mondiale. Il devra accomplir une mission des plus périlleuses : servir d’agent de liaison entre la Résistance française et les Alliés pour préparer le débarquement du 6 juin 1944. Cette fiction est inspirée de faits historiques documentés. On raconte en effet que le pigeon, l’un des premiers oiseaux à être domestiqués par l’homme, a souvent été associé à l’art militaire. L’un des épisodes les plus connus remonte à la guerre de 1870 où, pendant le siège de Paris, près de 400 pigeons ont « collaboré » à la défense de la capitale en acheminant plus de 100 000 messages. Lors de la Première Guerre mondiale, tous les belligérants se sont servis des pigeons voyageurs de façon intensive. Ils furent encore très sérieusement entraînés pendant la Seconde Guerre mondiale et utilisés jusqu’en 1944. Cependant, si avec l’évolution des techniques de communication le rôle des pigeons voyageurs a été progressivement réduit, aujourd’hui certains auteurs suggèrent qu’à l’avenir, l’oiseau pourrait être à nouveau utilisé pour préserver le caractère secret de certains messages, ce que l’Internet n’a pas réussi à faire jusque-là.
Toutefois, jusqu’à ce jour, personne n’a encore pu percer le secret du sens de l’orientation extrêmement aiguisé de cet oiseau, un mystère qui préoccupe les plus grands chercheurs. « On sait simplement qu’il est doté d’une mémoire puissante qui enregistre les lieux et les points de repères, au niveau des morilles », affirme Imad Alameh.
C’est, dit-il, une qualité qui est continuellement appelée à se développer chez le pigeon, « grâce à un entraînement assidu » dont chacun des colombiculteurs a une recette plus ou moins personnalisée.

Jeanine JALKH
«Sous mes ailes il est écrit : qui m’aime jamais ne m’oublie ». Cette citation, très connue par les éleveurs de pigeons, est on ne peut plus vraie. Tous les amateurs le diront : l’amour que l’on porte pour ses pigeons n’a pas d’égal. Et celui qui a eu le malheur d’en élever quelques-uns est contaminé à vie. Imad Alameh, colombiculteur depuis plus de 30 ans, abonde dans le...