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Actualités - REPORTAGES

Obsèques de Raymond-Eddé - Des adieux dignes d'un chef d'Etat La réconciliation autour de l'homme qui a refusé les compromissions (photos)

«Savez-vous pourquoi Raymond Eddé n’a qu’une seule et unique photo, debout, figé devant la carte du Liban ? C’est qu’il ne pouvait pas se concevoir autrement que soudé à ce territoire qu’il a vénéré et défendu corps et âme, toute sa vie durant», faisait remarquer un de ses partisans. Brandie par des milliers de Libanais venus lui rendre un dernier hommage, cette photo a sillonné hier les rues de la ville, escortant le cercueil du grand disparu jusqu’au tombeau familial. Rarement on aura observé pareille unanimité autour d’une personnalité politique libanaise, autour d’une idée singulière du Liban. La mort n’a fait qu’amplifier le mouvement de solidarité autour de ce leader historique, de ses principes, de ses prises de positions intransigeantes. Hanté par sa patrie, par l’idée de l’indépendance et de la souveraineté, le Amid a réussi, par-delà la mort, à réunifier les Libanais de tous bords, autant sinon plus que de son vivant. Hier, ils n’étaient pas venus lui faire leurs adieux, mais lui dire tout haut, une dernière fois, combien l’Histoire lui avait donné raison. Ce n’était pas d’un enterrement qu’il s’agissait, mais d’un véritable plébiscite populaire pour cette indépendance qu’il ne cessait de réclamer. Les adieux auxquels il a eu droit étaient ceux que l’on réserve à un chef d’État, dont le souvenir était resté intact malgré son exil. Pour les Libanais, le Amid était plus qu’un leader émigré. Il était celui qui a pensé, osé et clamé haut le droit à la liberté. À l’entrée de sa résidence familiale, posées contre le mur, des fleurs, beaucoup de fleurs, qui s’étaient multipliées au cours des dernières vingt-quatre heures, encadraient le déferlement de la foule. Personnalités politiques, sympathisants, membres du parti, disciples, amis, ennemis, le pays tout entier, aurait-on dit, en ce jour, était venu pour un dernier hommage, un adieu. À l’intérieur de la maison, les responsables du parti recevaient aux côtés des parents. Les deux terrasses et le jardin étaient bondés. On laissait parler la mémoire, on réveillait les souvenirs, on répétait les slogans, les principes, on se transmettait «la pensée du maître». Ceux qui étaient entrés ne voulaient plus ressortir, comme désireux de revivre, quelques minutes encore, entre ces murs jaunis par le temps. Sous un toit qui avait abrité la première tranche de l’histoire de l’homme, on traînait. Dans le petit salon où était déposée la dépouille mortelle, venues par délégations regroupées par régions, les personnes s’inclinaient, à tour de rôle, devant le cercueil, sur lequel avait été posée une branche de cèdre. Les cierges illuminaient les yeux rougis par les larmes des proches amis et fidèles partisans. L’émotion montait, cadencée par les chants populaires entonnés par les délégations. «Sur les ailes de nos larmes il est parti ; sur les flots de nos larmes, nous le ramenons». «C’est en toi que s’est réfugié le Liban» . Vers 10 heures, l’arrivée spectaculaire du leader druze Walid Joumblatt à la tête d’une délégation de plusieurs milliers de personnes, a provoqué un mouvement de surprise générale. Les chefs religieux qui l’accompagnaient (près de 200) étaient immédiatement suivis des membres du parti et des habitants du Chouf. Un geste hautement symbolique qui vient sceller les liens historiques entre les deux formations. Mais aussi, «pour honorer l’amitié qu’a portée Raymond Eddé à Kamal Joumblatt», souligne un membre du Parti socialiste progressiste. «Je suis très touchée par la présence massive des différentes formations politiques dans le pays, qui traduisent aujourd’hui non pas une simple présence politique, mais une émotion commune», souligne Fadia Kiwan, membre du conseil du Bloc national. «Cette position exprime la maturité d’une conscience politique au plan national, prête pour la réunification de la montagne et de l’ensemble du pays», ajoute Mme Kiwan. C’est vers 10h45 que le cortège quittera la résidence du Amid, conduit par les anciens ministres Michel Eddé et Walid Joumblatt, les hauts responsables du parti, ainsi que par plusieurs officiels. Précédé par une grande croix, un partisan du BN arborait un portrait géant du Amid – toujours le même. Trois fanfares exécutent des marches funèbres. Les membres du BN ont porté à bout de bras le cercueil, en le faisant danser à chaque coin de rue. Les fanions rouge et blanc du PSP ondulaient aux côtés de ceux du BN, aux couleurs bleu et blanc, en une noce de couleurs et de cœurs. «C’était un patriote dont nous n’oublierons jamais les prises de position historiques, exprimées durant les moments les plus difficiles qu’a traversés le pays», affirme le président de la municipalité de Sofar. Les quatre kilomètres conduisant à la cathédrale maronite Saint-Georges, dans le centre-ville, ont été parcourus à pied. Sous un soleil de plomb, la sueur se mêlait aux larmes qui coulaient dès qu’était prononcé le nom du Amid. «Diaanak !» répétaient inlassablement ses amis. Sur la foule pleuvait des pétales de roses et du riz et les applaudissements venaient brouiller la musique de la fanfare. Rue après rue, les habitants venaient rejoindre le cortège funèbre, évalué à plus de 20 000 personnes. Les retrouvailles étaient émouvantes. Et les obsèques se sont transformées en célébration, marquant l’union des confessions, la fusion des esprits. Aux habitants des secteurs de Hamra, Sanayeh, Jdeidé, Achrafieh, aux délégations venues de Jbeil, de Batroun et d’ailleurs, sont venues s’ajouter des familles en provenance du Sud, des délégations de Hjoula, Tartej, Sofar, Maad, Lissa, al-Ghabate, Seraata, Afqa et Tripoli. Le Kesrouan et le Metn étaient également représentés. Mêmes les ennemis d’antan sont venus exprimer, à leur manière, leur chagrin. «Vous auriez mieux fait de prendre toute la carte du Liban, cela vous facilitera la tâche», me lance tristement un sympathisant. Certains militants n’ont pas manqué de relever la «discrétion» de la représentation officielle et l’absence de certains responsables politiques. «On aurait aimé que le président de la République soit présent parmi nous, pour rendre un dernier hommage à un grand». «C’est la moindre des choses», dira Élias Atallah, membre du conseil exécutif du Parti communiste libanais. «On aurait dû décréter deux jours de deuil. C’est le moins que l’on puisse faire pour un homme de cette trempe, ce véritable visionnaire. Nous l’avions fait pour des personnalités de moindre envergure». Place du Parlement, un détour inévitable, c’est le délire. Hissé devant la porte de l’Assemblée, là même où ont retenti les discours de cet éternel opposant, le Amid a fait ses adieux à l’Assemblée. Un dernier tour Place de l’Étoile. Une dernière danse, accompagnée de cris de douleur, avant de se diriger vers l’église. Là il a fallu l’intervention des forces de l’ordre pour ouvrir la voie devant le cercueil. Les gens refusaient de briser la chaîne de solidarité qui s’était formée en l’espace d’une heure. Personne ne voulait s’éloigner du cercueil. Le temps de dire adieu à celui qui avait mérité la reconnaissance du peuple pour son engagement national, le Liban s’était à nouveau réunifié. À celui qui a dit non aux compromissions, le peuple a entamé l’hymne de la réconciliation.
«Savez-vous pourquoi Raymond Eddé n’a qu’une seule et unique photo, debout, figé devant la carte du Liban ? C’est qu’il ne pouvait pas se concevoir autrement que soudé à ce territoire qu’il a vénéré et défendu corps et âme, toute sa vie durant», faisait remarquer un de ses partisans. Brandie par des milliers de Libanais venus lui rendre un dernier hommage, cette...