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Actualités - BIOGRAPHIE

Décès- Après 24 ans d'exil, Raymond Eddé retrouvera sa terre natale La Conscience du Liban (photos)

Il était un éternel opposant et fut surnommé la «Conscience du Liban». Raymond Eddé, décédé hier à Paris à l’âge de 87 ans, après un exil volontaire de 24 ans, a passé son existence à défendre avec acharnement sa conception d’un Liban à la fois libre, ouvert et tolérant. Opposé à toutes les compromissions, de droite comme de gauche, d’est comme d’ouest, cet homme était l’intégrité même. Il en paya le prix politiquement, et faillit même être tué à trois reprises, peu avant son départ pour la France, à la fin de 1976. Esprit caustique, il était célèbre pour son franc-parler, qui lui a valu beaucoup d’inimitiés au sein de la classe politique libanaise, mais aussi à l’étranger. Il laissera d’abord le souvenir d’un héraut de la démocratie, scrupuleusement attaché au respect de la Constitution, et d’un courageux défenseur des libertés, toujours prêt à descendre dans l’arène lorsque celles-ci sont menacées. Son nom restera aussi attaché à la loi sur le secret bancaire, clé de voûte du système financier libanais, qu’il a fait adopter dans les années cinquante. Mais en ces jours où l’on s’apprête à tourner définitivement la page de l’occupation israélienne au Liban-Sud, le Amid sera surtout remémoré pour ses positions historiques, tant en ce qui concerne le rôle d’Israël au Liban que celui de la Syrie, son opposition à l’accord du Caire avec l’OLP en 1969, et ses appels depuis le milieu des années 1960 au déploiement de Casques bleus de l’Onu à la frontière avec l’État hébreu. Il était né le 15 mars 1913 à Alexandrie, en Égypte, dans une famille originaire du village d’Eddé (Jbeil) hostile au pouvoir ottoman et de tendance francophile. En 1913, l’année de sa naissance, son père Émile Eddé, condamné à mort par les autorités ottomanes, s’était réfugié en Égypte avec son épouse, Laudi, née Sursock. De retour avec sa famille en 1920 à Beyrouth après l’établissement du mandat français, Raymond Eddé fait ses études scolaires puis universitaires chez les pères jésuites. Il obtient en 1934 une licence en droit. Deux ans plus tard, son père est élu président de la République, sous le mandat. Il le restera jusqu’en 1941. À sa mort, en 1949, Raymond lui succède à la tête de son parti, le Bloc national, et prend le titre de Amid. Il est élu député de Jbeil pour la première fois en 1953 et depuis, se fait réélire constamment à ce siège jusqu’en 1992, sauf en 1964 où toute sa liste est battue. Mais il retrouvera son siège dès 1965 à la faveur d’une élection partielle. Sous le mandat de Camille Chamoun (1952-1958), il s’illustre notamment en faisant adopter deux lois importantes par le Parlement, l’une concernant les loyers (1954) et l’autre instituant le secret bancaire (1956). En 1958, lors de la première crise grave que traverse le Liban après son indépendance, Eddé demeure hors du conflit, reprochant notamment à Chamoun de ne pas avoir déclaré publiquement son intention de ne pas renouveler son mandat et au général Fouad Chéhab de ne pas avoir, en tant que commandant en chef de l’armée, tenté d’empêcher les affrontements. L’anti-chéhabiste À la présidentielle de 1958, qui verra l’élection de Chéhab à la suite de l’intervention des puissances, il pose une candidature de principe et obtient 14 voix au premier tour et 7 au second. Au début, le général collabore avec lui et le nomme le 14 octobre de la même année au sein du gouvernement quadripartite qui porte le nom de Cabinet de salut public et dont la formation met un terme à la crise. Eddé, qui obtient les portefeuilles de l’Intérieur, des Affaires sociales, du Travail et des PTT, fait adopter un décret-loi abolissant l’impôt sur les revenus agricoles et une autre rendant la peine de mort obligatoire en matière d’homicide volontaire, en supprimant les circonstances atténuantes (16 février 1959). Il réorganise, en tant que ministre de l’Intérieur, les FSI et créé notamment la fameuse brigade 16 (unité de choc de la police). Mais il prend ses distances à l’égard de Chéhab et, en octobre 1959, démissionne pour protester contre les immixtions du Deuxième bureau de l’armée dans les affaires politiques, électorales et administratives, devenant aussitôt le principal opposant au régime. Peu avant sa démission, il avait eu un court échange, très édifiant, avec le chef de l’État, lors d’une séance du Conseil des ministres : le président lui fait remettre un bout de papier sur lequel il avait écrit, en français : «Monsieur le ministre, sommes-nous bien d’accord pour dépolitiser l’administration» ? Eddé répondit, également par écrit : «Oui, Monsieur le président, à condition de ne pas politiser l’armée». Désormais, c’est une luttre à outrance que va livrer le Amid contre Chéhab et le chéhabisme, dénonçant avec virulence les atteintes aux libertés et le rôle des militaires. Il poursuit son opposition sous le régime du président Charles Hélou (1964 – 1970) avant de mettre sur pied, en 1968, avec Camille Chamoun et le chef des Kataëb Pierre Gemayel, une alliance tripartite, le Helf qui remportera haut la main les législatives de cette année-là dans certaines régions du pays. Il est de nouveau fait appel à lui en octobre 1968, dans un nouveau Cabinet de salut public où il détient plusieurs portefeuilles; mais il entraîne la démission de cette équipe trois mois plus tard, à la suite de l’inaction de l’armée lors du raid israélien contre l’aéroport de Beyrouth (28 décembre 1968). À l’époque, Raymond Eddé se distingue des autres hommes politiques libanais par des positions fermes et claires sur la question du Liban-Sud. Il réclame de longue date l’installation d’une force de l’Onu à la frontière libano-israélienne : une première fois en décembre 1964 lorsque la Ligue arabe décide de détourner les affluents du Jourdain et une deuxième fois en 1968 à la suite du raid israélien sur l’AIB. Cette position, qu’il a constamment maintenue, lui a valu à ce moment-là l’hostilité des milieux nationalistes arabes qui lui ont reproché de vouloir «empêcher le Liban d’assumer ses responsabilités arabes». Un an plus tard, à la suite des premiers accrocs sérieux entre l’armée et les guérilleros palestiniens, il se prononce contre les accords libano-palestiniens du Caire (février 1969) parce que, selon lui, ils fournissent à Israël le prétexte d’attaquer et, éventuellement, d’occuper le Liban-Sud. Il reprochera à son allié Pierre Gemayel d’avoir provoqué la mort du Helf en votant ces accords. Il faudra près d’un quart de siècle plus tard et des dizaines de milliers de morts pour que l’ensemble de la classe politique libanaise abroge ces accords. En vue de barrer la route au candidat chéhabiste Élias Sarkis, Eddé donne son appui à Sleiman Frangié qui est élu président de la République le 17 août 1970. Mais il ne tarde pas à se retourner contre lui et à la fin de 1974, il formera avec Saëb Salam et Rachid Karamé un axe tripartite anti-Frangié. L’exil Libéral convaincu, opposé de longue date aux Kataëb, sauf durant la courte période du Helf, Raymond Eddé se démarque nettement, dès le début de la guerre du Liban, en 1975, des autres chefs maronites. Dénonçant résolument tous les plans de partition qui vont, selon lui, à l’encontre des intérêts des chrétiens, il représente un courant chrétien modéré qui prône la coexistence avec les musulmans et les Palestiniens. Il entreprend deux tournées à l’étranger, en 1975 et en 1976, en France, au Vatican, aux États-Unis et à l’Onu, pour tenter de déjouer ce qui, à ses yeux, se tramait contre le Liban. Cette politique, les bons rapports qu’il maintient avec l’OLP malgré l’accord du Caire et le fait qu’il est le principal leader chrétien à demeurer à Beyrouth-Ouest, lui valent une position privilégiée auprès de l’islam libanais et des palestino-progressistes. À ce titre, il collabore étroitement avec eux pour obtenir le départ du gouvernement des militaires (23 mai 1975) et chercher à imposer la démission du président Frangié. En outre, il intervient à plusieurs reprises pour faire libérer de nombreux chrétiens victimes d’enlèvements dans la partie occidentale de la capitale. Ayant pris fermement position contre l’intervention syrienne au Liban à partir de janvier 1976, Eddé se présente à l’élection présidentielle contre Élias Sarkis, qui était soutenu par Damas. Les députés qui le soutiennent sont amenés à boycotter le scutin pour protester contre les pressions syriennes. Aussi n’obtient-il aucune voix. L’intervention de la Syrie prenant de l’ampleur et se traduisant par des combats acharnés avec les palestino-progressistes, l’opposition de Raymond Eddé s’accentue : il accuse Damas de vouloir démembrer le Liban, les partis chrétiens d’avoir accepté ce démembrement en contrepartie d’une partition leur assurant le pouvoir dans leur portion de territoire et les États-Unis, notamment le secrétaire d’État Henry Kissinger, d’œuvrer en vue du morcellement du Proche-Orient en États communautaires dont le petit Liban chrétien serait le prototype. N’ayant pu empêcher le déploiement des troupes syriennes au Liban et ayant fait l’objet de trois attentats (à Nahr Ibrahim, le 25 mai 1976, devant son domicile à Sanayeh, les 11 novembre et 11 décembre de la même année), il quitte le Liban le 22 décembre 1976 et s’installe à Paris. Définitivement. Mais il continue à suivre de près les développements au Liban et réclame à chaque occasion le départ des troupes syriennes et la fin de l’occupation israélienne. En 1992 et 1996, son parti se joint au boycottage des législatives. Partisan d’une réforme électorale – il a proposé l’année dernière l’adoption de la circonscription uninominale –, Eddé a longtemps été en faveur d’une laïcisation de l’État et est l’auteur d’une proposition de loi sur le mariage civil. Célibataire, Raymond Eddé avait un frère cadet, Pierre, décédé il y a trois ans. Brillant financier, Pierre Eddé avait également été député et ministre et fut de 1971 à 1985 PDG de L’Orient-Le Jour.
Il était un éternel opposant et fut surnommé la «Conscience du Liban». Raymond Eddé, décédé hier à Paris à l’âge de 87 ans, après un exil volontaire de 24 ans, a passé son existence à défendre avec acharnement sa conception d’un Liban à la fois libre, ouvert et tolérant. Opposé à toutes les compromissions, de droite comme de gauche, d’est comme d’ouest, cet homme...