Actualités - OPINION
Tribune Le confessionnalisme politique et le XXIe siècle
Par MENASSA BECHARA, le 02 février 2000 à 00h00
La suppression du confessionnalisme politique est devenue, à partir de l’Accord de Taëf en 1989, un leitmotiv et comme une donnée de base des projets relatifs aux modifications constitutionnelles et législatives à apporter dans la vie politique au Liban. Certes, ces projets n’ont pas encore trouvé leur application sur le double plan constitutionnel et législatif. Et pour cause : la classe politique craint sans doute les profonds bouleversements que ces modifications apporteraient à la vie politique libanaise sur le double plan législatif et social, sans qu’on puisse mesurer ou prévoir leur conséquence sur la convivialité entre les familles spirituelles et les communautés qui constituent notre pays. Autre facteur essentiel, cette suppression du confessionnalisme politique touche aux changements survenus dans le monde à partir de 1989, date de ce fameux accord. En effet, 1990, l’année d’après-Taëf, constitue la charnière historique qui a vu le monde basculer, cherchant un nouvel équilibre qu’il n’a pas encore trouvé. Éric J. Hobesbawn (1) soutient la thèse que le XXe siècle a commencé en 1914 avec la Grande Guerre et qu’il s’est terminé avec la chute du Mur de Berlin en 1990. La chute du Mur de Berlin annonce, en effet, l’écroulement de l’Urss et du camp socialiste en 1991 et le commencement d’une nouvelle ère pour l’humanité. L’Accord de Taëf, qui survient en 1989, précède d’un an ces grands bouleversements politiques de cette fin de siècle et on ne peut, si l’on veut être perspicace en politique, qu’en tirer les leçons. Les valeurs qui avaient cours dans le monde avant 1991, la fin académique de ce XXe siècle agitée, n’ont plus cours après l’an 1991. C’est une donnée de base que les politologues du monde entier et, à plus forte raison, les politologues libanais, ne devraient jamais oublier. La chute du Mur de Berlin donc, qui a été suivie par l’écroulement du camp socialiste, a déterminé la dislocation des deux principaux États, épines dorsales de ce camp : d’un côté l’Urss et de l’autre la République yougoslave. Ces deux États multiraciaux et multiconfessionnels qui prônaient comme principes de base de leur politique le laïcisme et la fraternité des peuples ont vu ces deux postulats foulés aux pieds avec le démantèlement de leurs territoires, la levée de boucliers de leurs ethnies, les massacres interconfessionnels entre leurs communautés. Dans les deux pays, leurs ethnies et leurs communautés se sont tour à tour proclamées indépendantes, et la crise tchétchène dans la Russie d’aujourd’hui assène au monde contemporain une magistrale leçon sur la survie du confessionnalisme dans un milieu ayant derrière lui soixante-dix ans de communisme athée pour les communautés, et d’égalitarisme forcené pour les nations. Le droit à l’altérité n’a donc pas été supprimé par soixante-dix ans de marxisme, d’athéisme et de socialisme, comment le serait-il alors par des textes de lois et des ukases concordés par un aréopage d’hommes politiques, des philosophes, des penseurs et des docteurs de lois distingués. L’idée de la suppression du confessionnalisme politique, qui fut une motivation de notre vie politique à partir de l’Indépendance en 1943 et qui a trouvé son couronnement à Taëf en 1989, fait partie intégrante de cette grande progression de l’idée de laïcisme qui est le fruit du progrès de l’idée socialiste et marxiste dans le monde à partir de la révolution d’Octobre 1917 en Russie et de la victoire de l’Urss sur les idées racistes et xénophobes de l’Axe, en 1945. Notre adoption du projet de la suppression du confessionnalisme politique est une résultante de ces idéaux du XXe siècle mais qui ont vu leur écroulement en 1990, c’est-à-dire lors du démantèlement du Mur de Berlin, puis de la dislocation de l’Urss et de la République de Yougoslavie après cette date. Voulons-nous dire par là, que ces idéaux de symbiose ethnique et confessionnelle, promus par le camp socialiste, étaient contestables ou fallacieux, à la base et non susceptibles d’application ? Il est clair que non. Il s’agit donc pour nous, non pas de bannir ces idéaux de symbiose communautaire et ethnique, mais de leur apporter une autre approche telle que conçue par d’autres démocraties, qui ont mieux réussi l’intégration de leurs ethnies et de leurs communautés à travers le temps. Mais avant de procéder à ce constat, examinons le cas de quelques autres peuples qui furent en souffrance au XXe siècle en raison des problèmes ethniques ou religieux, soit en Europe, soit dans le monde au cours du XXe siècle passé ? Les deux pays qui viennent à l’esprit de tout un chacun dans ce domaine sont l’Inde, avec le problème de sa minorité musulmane, qui s’élève à environ cent millions de personnes et celui, récurrent, du Cachemire, et la Grande-Bretagne avec le problème, en partie réglé, de l’Ulster. L’Inde en tant qu’État est un pays constitutionnellement laïc puisque l’un des premiers présidents de l’Inde, d’après l’Indépendance, fut musulman. L’Angleterre, pays de la démocratie égalitaire dont dépend l’Ulster, a rarement failli à ses principes démocratiques – dans ses frontières internes – et qui ont d’ailleurs rayonné sur le monde entier. Les soubresauts du confessionnalisme n’ont jamais cessé d’ébranler l’Inde et le confessionnalisme en Ulster n’a pas trouvé son aboutissement que dans un accord à la libanaise, convenu en 1999 où les diverses communautés se sont partagé le pouvoir «autonome» de cette enclave britannique en Irlande. Devons-nous, aussi évoquer le problème de l’Indonésie et plus particulièrement aussi celui du Timor-Oriental. Les Timoriens sont des tribus indonésiennes comme les autres ethnies de ce vaste continent îlotier : les chrétiens du Timor-Oriental n’eurent de cesse qu’ils n’aient obtenu leur indépendance en 1999 au nom de leur appartenance confessionnelle exclusivement. Les Tchétchènes musulmans se battent héroïquement aujourd’hui contre l’immense armée russe chrétienne, au nom de leur appartenance confessionnelle musulmane avant tout le reste. Et ils n’auront de cesse, vraisemblablement, qu’ils n’aient obtenu une large autonomie, sinon une indépendance totale. Ce n’est donc ni la démocratie formelle – des Indes, de la Grande-Bretagne ou de l’Indonésie – ni à plus forte raison la coercition – de l’Urss et de la Yougoslavie – qui ont apporté des solutions aux problèmes communautaires et ethniques dans ces pays. Mais où donc, alors, trouver un paradigme de solutions à ces problèmes ethniques et religieux dans le monde ? Dans quel pays, sous quels cieux ? Car l’Histoire sert de labo au politologue, et notre république et notre Constitution n’ont pas été tirées du néant mais de données universelles qui justifiaient notre choix. Quels sont les pays qui fournissent la preuve que seul le développement économique et culturel égalitaire est la solution du problème des antagonismes entre les peuples et les communautés ? À bien examiner l’histoire contemporaine, deux exemples surgissent à l’esprit du chercheur, qui sont la Suisse et les États-Unis d’Amérique. La République fédérative suisse a trouvé la solution à ses problèmes ethniques et communautaires grâce à sa démocratie et au développement égalitaire entre ses régions à partir de leurs guerres intestines, longues et douloureuses, du XIXe siècle. En effet, la Suisse ressemble par ses soubresauts internes et le pragmatisme des ses solutions politiques plus au Liban qu’à tout autre pays dans le monde. Le Liban est la Suisse du Moyen-Orient, certes, mais par ses guerres intestines et la solution pragmatique de ses problèmes religieux et ethniques plus que par tout autre chose, comme son laxisme bancaire ou son caractère montagneux et touristique par excellence. Comment aux États-Unis d’Amérique le problème noir – ethnique par définition et religieux dans ses marges – semble-t-il après les heures dramatiques de l’assassinat du pasteur Luther King, trouvé comme sa pesanteur normale et comme sa solution ? C’est en accordant aux Noirs des priorités dans les universités, le secteur économique, le cinéma et même la télévision. C’est grâce à la promotion d’une classe moyenne noire aux États-Unis, que les mouvements d’émancipation violente se sont mués en revendication démocratique et qu’une stabilité sociale relative règne désormais dans la société nord-américaine... et s’il advient qu’un comité national soit constitué comme le veut la Constitution dans son article 95, son rôle devrait consister moins à supprimer par des ukases le confessionnalisme, qu’à le gérer comme c’en est le cas des problèmes relatifs aux nationalismes, des identités ethniques et culturelles, les problèmes de santé, de défense ou d’éducation. Il s’agirait de procéder avec les armes du pragmatisme et de la sagesse politique et non pas avec des pronunciamientos qui ont fait leur temps et prouvé leur inanité, partout dans le monde. Ce qui était valable en 1989, c’est-à-dire à la fin du XXe siècle, n’est plus valable au début du XXIe, après les leçons de l’écroulement de l’Urss et de ses satellites dans l’Europe-orientale et dans le monde entier. Nous savons grâce à l’Histoire récente, à celle de la Suisse, de la Belgique et des États-Unis en particulier, que les patries multiraciales et multicommunautaires se forment et durent grâce à la volonté et à l’accord des minorités qui les composent. C’est le cas pour le Liban d’aujourd’hui. Faisons que cela se perpétue en sécurisant et en faisant progresser également toutes les communautés qui le constituent. C’est un gage sur l’avenir. C’est une idée maîtresse de l’Accord de Taëf. 1) «L’âge des extrêmes» Édition complexe Le Monde diplomatique Copyright E./J. Hobesbawn 1994. Édition française 1999.
La suppression du confessionnalisme politique est devenue, à partir de l’Accord de Taëf en 1989, un leitmotiv et comme une donnée de base des projets relatifs aux modifications constitutionnelles et législatives à apporter dans la vie politique au Liban. Certes, ces projets n’ont pas encore trouvé leur application sur le double plan constitutionnel et législatif. Et pour cause : la classe politique craint sans doute les profonds bouleversements que ces modifications apporteraient à la vie politique libanaise sur le double plan législatif et social, sans qu’on puisse mesurer ou prévoir leur conséquence sur la convivialité entre les familles spirituelles et les communautés qui constituent notre pays. Autre facteur essentiel, cette suppression du confessionnalisme politique touche aux changements survenus dans le monde à...
Les plus commentés
Le Liban doit « apprendre de Chareh » : cette phrase pleine de sous-entendus d’Ortagus
Municipales : derrière les percées FL, des alliances parfois contre nature
« Tout le monde veut venir au Liban » : malgré la flambée des prix des billets, de nombreux expatriés attendus cet été