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Actualités - ANALYSE

TRIBUNE - Pas de redressement économique sans une vraie réforme et une moralisation de la vie publique Paradoxes libanais et crise structurelle Par Georges CORM ancien ministre des Finances

Le bilan de ces deux dernières années a fait l’objet de polémiques incessantes qui ont commencé dès la nomination du gouvernement de M. Hoss. Mais les accusations répétées de façon monotone à l’encontre de ce gouvernement taxé d’incompétence et de «gestion calamiteuse» ne remplace pas une analyse équilibrée et nuancée des défis auxquels est confronté le pays et des remèdes à y apporter. Sur le plan politique et régional : La politique du président de la République a visé cinq objectifs : - Le rétablissement de l’autorité présidentielle dans le cadre des accords de Taef et la fin du système de la troïka afin de rétablir la stabilité politique et la dignité de l’État ; - Le refus de l’implantation des Palestiniens au Liban. Les Libanais s’étant battus et ayant payé le prix le plus fort pour empêcher cette implantation, cet objectif est véritablement central dans la volonté présidentielle ; - La libération rapide du sud du pays en faisant ostensiblement et courageusement de l’État le protecteur de la résistance menée par le Hezbollah ; - L’endiguement des relations des politiciens avec la Syrie afin d’élever ces relations au niveau de l’État au lieu de les laisser dans la pagaille qui les ont caractérisées ; en même temps, le président s’est porté garant de la coordination entre le Liban et la Syrie dans le domaine des relations extérieures, de façon à empêcher l’effondrement du dernier axe de solidarité arabe face à Israël. - Une pratique de l’exercice du pouvoir exécutif débarrassée des contraintes communautaires ; les membres du gouvernement de M. Hoss n’ont pas été nommés, à partir de critères communautaires et les discussions en Conseil des ministres ont porté sur les problèmes sociaux et économiques sans arrière- pensées ou querelles de nature communautaire. Ces objectifs ont clairement indisposé les forces politiques locales, régionales et internationales, comme l’ont montré les critiques formulées à l’égard de la gestion du dossier de la libération du sud du Liban, en dépit des succès obtenus. Le report de la conférence des pays donateurs pour aider la population du Liban-Sud semble s’inscrire dans cette logique de sanction d’un État qui n’a pas hésité à parler haut et fort et à réclamer tous ses droits et chaque pouce de son territoire. Au-delà, les boucliers se sont levés comme au temps de Fouad Chéhab. Les mêmes accusations avaient été proférées à l’époque contre le général-président, en particulier les interférences supposées de l’armée et des services de sécurité dans tous les domaines au détriment des libertés démocratiques, ou l’alignement de sa politique étrangère sur l’Égypte au détriment des intérêts traditionnels de l’Occident au Liban. Les forces antiréformistes ont alors réussi à bloquer partiellement les réformes du général Chéhab et sont revenues en force sur le devant de la scène politique dès la fin de son mandat. En fait, il y a une véritable schizophrénie ou dissociation de la personnalité chez «l’élite» politique libanaise. Son désir de réforme n’est qu’un exercice verbal, car sitôt qu’un président réformiste tente de changer l’ordre des choses, il se heurte au mur de tous les conservatismes communautaires, économiques ou de politique étrangère. Bien plus, il est curieux de voir comment ce conservatisme qui fige les comportements et empêche la réforme, crée dans cette même élite des enthousiasmes malsains pour des aventures politiques de type «radical», telles qu’incarnées par Kamal Joumblatt (bien qu’il faille reconnaître que le programme du Mouvement national était bel et bien un programme réformiste, relativement modéré), Bachir Gemayel, Samir Geagea ou Michel Aoun ou, dans le domaine économique, les politiques et mécanismes de la reconstruction. Il est aussi curieux de constater que jusqu’ici la classe politique traditionnelle et la société civile libanaise n’ont pas produit de «réformateurs» qui aient pu imposer leurs vues. Ceux qui ont eu de fortes personnalités ont crié dans le désert (tel Maurice Gemayel, en particulier). Sur le plan de la réforme financière et économique : C’est vraisemblablement dans le domaine économique que la schizophrénie est la plus forte. Nous voudrions tous que l’État libanais offre un niveau de services étatiques équivalent à celui des pays scandinaves ou de la France et de l’Allemagne, mais personne n’est prêt à accepter le niveau de fiscalité de ces pays. Les idées naïves sont ici épuisantes, car la plupart voudraient à la fois supprimer toute fiscalité ou la réduire à un niveau symbolique, mais en même temps avoir un État fort qui soit aussi un État providence. La croyance quasi métaphysique de l’élite économique du pays que l’impôt tue l’investissement est devenue un handicap majeur pour réformer la situation économique, sociale et financière du pays. Cette croyance est métaphysique, car toutes les preuves statistiques nous montrent que les flux les plus importants de capitaux se dirigent vers les pays à haute fiscalité, la portion congrue, y compris des capitaux arabes, allant vers les pays où existent des codes d’investissements qui défiscalisent l’investissement étranger. Les détenteurs de capitaux préfèrent toujours les pays industrialisés ou en voie d’industrialisation rapide aux pays qui stagnent économiquement parce que n’ayant pas de véritable politique d’acquisition des sciences et des techniques et qui se contentent de proposer des exemptions fiscales. Quoi que l’on ait dit du gouvernement dont le mandat vient de se terminer, nous avons mis en place les éléments essentiels d’un assainissement des finances publiques, condition impérative d’un retour à la compétitivité de l’économie libanaise. L’adoption de la TVA est au cœur de la modernisation fiscale et les préparatifs de sa mise en œuvre sont largement avancés. Toutefois, au Liban, le problème de fond de la fiscalité reste celui d’un système dont le poids, bien que peu élevé (14 % du PIB), affecte massivement les producteurs de biens et de services. En effet, les revenus financiers et du capital sont totalement exemptés d’impôts, alors qu’ils constituent une part très importante du revenu national. À plusieurs reprises, j’ai souligné cette anomalie qui devra bien être corrigée un jour, car notre fiscalité est aujourd’hui antiéconomique. Par ailleurs, la privatisation réussie du secteur de l’énergie et des télécommunications, ainsi qu’une réforme de la Sécurité sociale que notre gouvernement a entamée (notamment les fonds de pension et la défiscalisation de l’assurance-vie), devraient permettre d’abaisser le niveau élevé des coûts dont souffrent les secteurs productifs de l’économie. Une amélioration du fonctionnement du marché financier ainsi que la séparation progressive de la politique monétaire de celle de la dette publique et la fixation de la parité de la livre par rapport au dollar et à l’euro (et non plus seulement par rapport au dollar), sont deux autres éléments majeurs de l’assainissement ; ils contribueront à assurer une baisse durable des taux d’intérêts, variable stratégique de la sortie de la crise, de la réduction du déficit du budget et de la baisse du coût du crédit pour le secteur privé. En guise d’alternative, les aimables fantaisies keynésiennes (augmentation de la dépense publique pour stimuler la croissance et l’emploi) que l’on entend ou néo-reganienne (baisse des impôts pour susciter la consommation et le développement de l’offre de biens) font frémir tout économiste sérieux. Penser qu’en réduisant les impôts pour stimuler l’investissement privé et qu’en augmentant les dépenses de travaux publics, l’on va entrer dans le cercle vertueux d’une croissance élevée qui permettra à terme de réduire le niveau d’endettement est un contresens évident. Toute l’expérience des années 1993 à 1997 montre que les taux de croissance sont restés modestes pour un pays sortant d’une guerre et que les taux d’augmentation annuelle de la dette ont été de l’ordre de 5 à 10 fois celui du PIB. Il faut d’ailleurs s’entendre sur la nature de la crise économique qui affecte le Liban. Si l’on considère qu’elle a été créée par notre gouvernement, alors c’est le retour aux recettes de la reconstruction qui s’impose. En revanche, si l’on considère que l’économie libanaise souffre d’une crise structurelle profonde que les années d’euphorie foncière et financières entre 1993 et 1995 n’ont fait que masquer provisoirement et, en conséquence aggraver, alors on revient à la nécessité de réformes en profondeur pour que l’économie du pays retrouve une compétitivité qui lui assure une place productive majeure dans l’économie de la région. Pour sortir du cercle vicieux de la dette, il faut entrer dans le cercle vertueux d’une compétitivité que nous avons perdue. Il faut aussi que les énormes montants d’investissements gelés dans le secteur foncier de luxe et dans des aménagements géants tels que celui du centre-ville ou des différents projets de réclamation de terrains sur la mer, puissent progressivement être libérés. Une digue sur la mer qui immobilise un demi-milliard de dollars sans retombées économiques ni effet de diffusion sur le reste de l’économie est un gaspillage monumental ; il en est de même d’un aéroport ou d’infrastructures surdimensionnées. Ceci pose le problème de l’effet déprimant qu’exerce le niveau de la charge foncière sur la rentabilité des autres activités économiques. On peut certes arguer qu’il fallait prendre davantage d’initiatives durant ces deux ans, mais n’oublions que nous avons eu à affronter des problèmes qui n’avaient pas été traités ou réglés entre 1992 et 1998. Les humeurs querelleuses du vice-Premier ministre avec de nombreuses sociétés ont certes été un très mauvais point pour notre gouvernement, mais ceci ne peut annuler le reste du travail accompli. Nous sommes tout à fait capables, en tant que Libanais, de sortir de l’ornière. Encore faut-il accepter de mettre de côté les querelles politiciennes. Les attaques virulentes contre la présidence de la République, symbole de la souveraineté et de l’unité du pays, ne sont en tout cas pas le remède. C’est à nouveau une façon de fuir une vraie réforme et une moralisation de la vie publique, sans laquelle il ne saurait y avoir de redressement économique.
Le bilan de ces deux dernières années a fait l’objet de polémiques incessantes qui ont commencé dès la nomination du gouvernement de M. Hoss. Mais les accusations répétées de façon monotone à l’encontre de ce gouvernement taxé d’incompétence et de «gestion calamiteuse» ne remplace pas une analyse équilibrée et nuancée des défis auxquels est confronté le pays et des...