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Actualités - CHRONOLOGIE

Samedi, le jour où les dés ont été jetés

En fait, tout avait été décidé samedi ou presque. Les interventions publiques des chefs d’État avaient révélé l’ampleur du fossé entre durs et modérés. Les dés étaient donc jetés : pas d’accord possible que sur un compromis plutôt proche de la modération. Le scénario ? Une sévérité de façade dans les résolutions et une interprétation à la discrétion de chacun. Rien de plus facile pour les spécialistes des formules «souples» pour ne pas dire floues. C’est ce à quoi se sont employés dans la nuit de samedi à dimanche les experts juridico-diplomatiques qui ont rendu en matinée une copie remaniée ayant auparavant reçu l’admittatur du ministre des Affaires étrangères de chaque délégation. La longue journée de samedi avait commencé très tôt pour les journalistes conviés à se présenter dès 7 heures du matin au Centre international des conférences, soit près de trois heures avant l’ouverture officielle du sommet. Ce n’est d’ailleurs qu’à travers les petites lucarnes télévisées que la presse écrite a pu assister, à une centaine de mètres de la salle principale, au coup d’envoi, donné à 10h15 heure locale par le président Hosni Moubarak, très à l’aise dans son rôle d’hôte. Familier de ce genre d’exercice, le raïs s’est livré, comme il l’avait fait à Charm el-Cheikh quelques jours auparavant, à une violente attaque contre Israël qu’il a accusé d’avoir conduit le processus de paix dans une «impasse dangereuse», sans pour autant appeler à couper les ponts avec l’État hébreu. «Toutes les parties doivent se rendre compte, a-t-il dit, que le seul choix qui s’offre aux pays de la région est celui d’une paix juste et équilibrée», avant de réaffirmer le soutien de son pays aux «droits légitimes du peuple palestinien». Il propose enfin une minute de silence – que l’assemblée observe debout en la réduisant insensiblement à une trentaine de secondes – en hommage à la mémoire «des martyrs tombés sous les balles israéliennes». Prenant ensuite la parole, le président de l’Autorité palestinienne, très affecté apparemment par les violences contre son peuple, brosse sur un ton dramatique un tableau très sombre de la situation dans les territoires palestiniens, qui résulte, selon lui, d’un «complot» ourdi collectivement par le gouvernement travailliste d’Ehud Barak en accord avec le chef du Likoud Ariel Sharon pour se livrer à «un massacre collectif» contre les Palestiniens. S’adressant à la communauté internationale, il invite les grandes puissances à assumer leur responsabilité pour trouver une issue à un conflit «menace la sécurité et la stabilité dans le monde». Il termine par un appel à ses pairs arabes qu’il invite à mettre fin à l’isolement de l’Irak et aux souffrances de ses fils du fait de l’embargo imposé depuis la guerre du Golfe en 1990. Ce même thème est repris par le roi Abdallah de Jordanie qui relève que «Bagdad a déjà très chèrement payé le prix de son invasion du Koweït», préconisant, à son tour, une réintégration pleine et entière au sein de la grande famille arabe. Auparavant le monarque hachémite avait brièvement développé son opinion sur le conflit israélo-arabe, notamment Jérusalem-Est et le Golan qui doivent «revenir à leurs propriétaires légitimes». C’est par une intervention improvisée que le président de la République libanaise Émile Lahoud prend ensuite la relève. Le chef de l’État, avec cet accent particulier qui est propre aux Libanais, prononce des mots simples et directs pour expliquer que les pays arabes devraient suivre l’exemple du Liban qui, grâce à son combat mené dans l’unité de ses citoyens, a pu dépasser ses souffrances et parvenir à la libération de son territoire. Il invite ses pairs à prendre «des décisions courageuses» pour ne pas décevoir «la nation arabe» à laquelle ses dirigeants «se doivent d’être aux avant-postes» pour «ne pas être laissés en chemin». Le jeune roi du Maroc Mohamad VI également président du comité al-Qods, issu de la conférence islamique, impeccablement sanglé dans un complet gris, prononce, pour sa part, un discours modéré, suivi bientôt par le prince Abdallah d’Arabie séoudite. C’est de ce dernier que vient la première proposition concrète de ce sommet : il suggère de constituer un fonds d’un milliard de dollars, dont 200 000 aux familles des martyrs de la révolte palestinienne et 800 000 dollars «pour maintenir l’arabité de Jérusalem et la préserver de la judaïsation». «Pas de compromis sur Jérusalem», a-t-il lancé, appelant les Arabes à geler leurs relations avec l’État hébreu. Suivent, successivement, le président tunisien Zine el-Abidine ben Ali, à la raie tirée au cordon, son homologue somalien Abdel Karim Sallad Hassan fraîchement élu à la tête d’un État réunifié et enfin le président de Djibouti. Puis le tour, très attendu, du numéro deux irakien, Izzat Ibrahim, vice président du Conseil de la révolution, dont le pays, mis au ban de la communauté arabe et internationale, opère une rentrée pour le moins remarquée. Et pour cause, le représentant de Saddam Hussein a lu une missive présidentielle adressée au sommet, dans laquelle le maître de Bagdad explique sans détours que «le défaut n’est pas dans la nation arabe, mais dans ceux qui la gouvernent». Les visages demeurent impassibles quand il critique «ceux qui prétendent que la paix est le seul choix possible», soulignant «les tentatives stériles qui durent depuis vingt ans» sans aboutir à un règlement positif. Qualifiant les juifs d’«impies», il clôture sa diatribe sur un ton solennel déclarant que «le jihad est l’unique voie pour libérer les territoires occupés». Sur le même ton guerrier, le président yéménite Ali Abdallah Saleh, qui avait été précédé de son collègues soudanais puis du secrétaire général de la Ligue arabe Esmat Abdel Méguid, dénonce «certains pays arabes qui ont pris l’initiative d’avoir des relations avec Israël» sous prétexte «d’appuyer le processus de paix» et qui, en ce faisant «ont affaibli la nation arabe face à l’entité sioniste». Il conclut en indiquant qu’Israël «est un cancer dans le corps du monde arabe», délivrant ainsi un diagnostic sans appel. Dernier intervenant de cette première session publique, le président syrien Bachar el-Assad prend la parole longuement, sur un ton dégagé mais sûr, indiquant que la visite d’Ariel Sharon sur l’Esplanade des mosquées n’était pas «une balade touristique», mais «l’acte volontaire d’un criminel», faisant également partager à Ehud Barak la responsabilité des conséquences, dramatiques pour les Palestiniens, qui ont découlé de l’équipée du chef du Likoud. Faire face à Israël et l’obliger à se retirer des territoires occupés n’est pas une vue de l’esprit, a-t-il indiqué en substance, évoquant, à ce propos, «l’exemple du Liban, dont tous les Arabes peuvent être fiers». Le président Moubarak lève la séance à 13h15. Il fait remarquer que la réunion avait duré près de trois heures et renvoie les débats, à huis clos, jusqu’après déjeuner. C’est à 16 heures, en effet, que les débats sérieux reprennent entre quatre murs sans discontinuer jusqu’à 19 heures, interrompus un moment par le départ en fanfare de la délégation libyenne courroucée par le refus manifeste de rompre les relations avec Israël et par les reproches adressées au colonel Mouammar Kadhafi qui avait rendu public, avant même le sommet, le projet de résolution qu’il avait critiqué en termes frisant le mépris. Les chefs d’État partis, une longue file de Mercedes officielles rentrait de nouveau dans l’enceinte du centre déversant, par petits groupes, les nervis de chaque délégation, venus peaufiner, en arrondissant les angles, le document officiel des résolutions qui allaient être rendues publiques en grande pompe le lendemain. A.C.
En fait, tout avait été décidé samedi ou presque. Les interventions publiques des chefs d’État avaient révélé l’ampleur du fossé entre durs et modérés. Les dés étaient donc jetés : pas d’accord possible que sur un compromis plutôt proche de la modération. Le scénario ? Une sévérité de façade dans les résolutions et une interprétation à la discrétion de chacun. Rien...