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Actualités - REPORTAGES

ARCHÉOLOGIE - Comprendre les données qui ont précédé la construction d’un édifice L’origine des forteresses médiévales du Liban remise en question

Au Liban, l’habitude est de considérer les fortifications croisées comme étant un travail de génie militaire. Néanmoins, cette théorie n’est pas exacte. Ces édifices gigantesques, imposants, ne datent pas uniquement de la période des croisades. La plupart ont des installations antérieures à ces invasions. Pourquoi alors les considère-t-on souvent comme étant uniquement croisés ? Cette idée est née au début du siècle et est le fruit du travail des historiens, archéologues et architectes français ayant réalisé des prospections et des relevés de terrain dans les différentes régions du pays des Cèdres. «Ces chercheurs ont accompli leur travail dans un contexte historique très particulier, explique M. Jean-Claude Voisin, archéologue spécialiste en fortifications du Moyen Âge. Ce sont des Occidentaux travaillant sur une terre sous mandat. Donc, consciemment ou inconsciemment, ils ont exagéré l’organisation militaire des Croisés au Liban. Ils ont cherché à montrer les Croisés comme étant une force imbattable au Moyen-Orient», assure t-il. C’est comme s’ils cherchaient à identifier les coloniaux aux Croisés. Toujours est-il que les recherches actuelles rejettent cette démarche et proposent une autre remettant en question tous les concepts du début du siècle. Désormais, pour étudier un monument militaire, il ne suffit pas de faire des relevés de terrain, il faut comprendre les données démographiques, sociales et historiques qui ont précédé la construction de l’édifice et lui ont permis d’exister. Dans leurs études, les chercheurs du début du siècle partaient du principe que le Liban était une forêt vierge, les Croisés, grands conquérants et bâtisseurs, sont arrivés et une nouvelle ère de construction va commencer : citadelles et forteresses s’imposent sur les promontoires rocheux. «Or les événements historiques ne se sont pas déroulés de la sorte, souligne M . Voisin. Car depuis des millénaires et même avant le Christ, la démographie au Liban est centrée sur la côte. Certes, en fonction des événements historiques, la population a escaladé les montagnes et les collines, mais son établissement principal restait dans les cités maritimes. En comprenant les installations des populations, on saisit mieux le déroulement de l’histoire, surtout locale. Car cela nous permet de situer sur des cartes les installations des populations locales, de suivre leur déplacement au cours des guerres et par conséquent localiser les traces des occupants et des positions militaires. Dans le cas des forteresses, une étude du peuplement nous permet de comprendre les établissements antérieurs aux croisades», continue-t-il. Mais pour réaliser cette étude, il faut procéder d’une façon systématique à la prospection de tous les sites du pays. Un grand projet qui, malheureusement, et par manque de moyens et d’équipes ne peut être réalisé par les autorités. Il faut qu’il soit effectué par des universitaires. Le Liban-Sud fortifié au Moyen Âge Lors de la croisade de 1097, les Croisés n’ont pu conquérir aucune ville côtière. Les cités étaient défendues et les habitants étaient à l’abri des assauts, cachés à l’intérieur de leurs murailles. Mais ce n’est qu’une fois Jérusalem conquise, que les Croisés vont assiéger ces villes et les soumettre. Pour assurer un maximum de sécurité à ces centres à majorité portuaires, les Croisés ont élevé des forts et des tours de contrôle dans l’arrière-pays. «L’occupation de la plupart des sites fortifiés dans l’arrière pays par les Francs répondait à un souci de contrôler les relations entre les villes du littoral, restées de nombreuses années indépendantes, et Damas ou la Galilée et l’arrivée potentielle de renforts terrestres : Belhacemet Beaufort en arrière de Saïda, Maron Toron et Scnadallion à l’arrière de Tyr», a écrit M. Voisin dans un article à paraître prochainement dans les annales de l’Université Saint-Joseph. Pour savoir qui a habité ces zones lointaines du littoral et dangereuses à cause des razzias, il faut procéder à une lecture sociale de l’histoire. Les grands seigneurs ont en fait offert ces terrains à leurs vassaux en les désignant seigneurs des lieux chargés d’assurer la sécurité des villes. Ces nouveaux «seigneurs» vont alors s’installer dans un site facilement fortifiable et défendable tel qu’un promontoire rocheux ouvert sur des falaises de trois côtés… et vont organiser la construction suivant leurs goûts occidentaux et leur hiérarchisation sociale. Ils faisaient par exemple construire le donjon du seigneur au centre de la forteresse et creusaient un fossé tout autour. Mais qui dit que ces lieux stratégiques n’ont pas été occupés à des périodes historiques antérieures ? Après tout, assurer la sécurité d’un lieu est indispensable même en temps de paix. Il est fort probable que les Croisés repéraient des lieux de fortifications existant à l’avance et les réaménageaient. M Voisin assure que les assises de fondation du château de Tebnine sont byzantines, quant au château de Beaufort, il a connu une existence longue de 400 ans et n’a été habité par les Croisés que pendant 80 ans. Peut-on alors les considérer comme étant uniquement croisés ? Actuellement, la libre circulation au Liban-Sud permet aux amoureux de l’histoire de visiter tous ces monuments. Cette région n’est pas encore étudiée ou même prospectée d’une façon systématique. La chance de découvrir de nouveaux sites est fort possible. Toutefois, il est certain que les monuments de cette région ont subi de grands dégâts. Les récents aménagements du territoire ont en effet enseveli de multiples vestiges. Ainsi, les assises d’un certain «Kasr» situé au sud de Yater Liban-Sud sont-elles ensevelies par le poste d’observation de l’Onu ? Le Liban-Sud demeure une nouvelle page inconnue de l’histoire et elle ne sera connue que dans le futur. Joanne FARCHAKH
Au Liban, l’habitude est de considérer les fortifications croisées comme étant un travail de génie militaire. Néanmoins, cette théorie n’est pas exacte. Ces édifices gigantesques, imposants, ne datent pas uniquement de la période des croisades. La plupart ont des installations antérieures à ces invasions. Pourquoi alors les considère-t-on souvent comme étant uniquement...