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Actualités - OPINION

Opinion L’isoloir et la liberté de vote

L’élection est une grande conquête dans la voie de la démocratie. Le vote est libre, encore faut-il protéger la régularité et la sincérité du scrutin. Le secret est la garantie de la liberté de vote qui est le pouvoir d’agir indépendamment de toutes contraintes extérieures. Le secret est assuré par la passage dans l’isoloir, l’obligation d’utiliser une enveloppe et l’annulation de bulletins portant un signe de reconnaissance (Ph. Ardant, Droit constitutionnel et institutions politiques, 6e éd. LGDJ 1994, p. 210). Pourtant, les arguments avancés en faveur du vote public ne sont pas déshonorants : un citoyen est libre de ne pas cacher ses opinions, en votant publiquement il manifeste la fermeté de son caractère et de ses convictions. Le secret est cependant indispensable car, dans beaucoup de circonstances, le vote public peut demander une sorte d’héroïsme qui n’est pas l’apanage de l’électeur moyen. Ce principe a été proclamé par la Déclaration universelle des droits de l’homme qui dispose dans son article 21 : « La volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics, cette volonté doit s’exprimer par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement, au suffrage universel égal et au vote secret ou suivant une procédure équivalente assurant la liberté de vote ». Il a été consacré en France pour la première fois par la Constitution de l’an III (article 31) : « Toutes les élections se font au scrutin secret », et rappelé par celle de 1958 (art. 3). C’est pour assurer le secret et la liberté de vote que l’article 49 de la loi électorale de 2000 au Liban oblige le chef du bureau de vote à s’assurer que l’électeur est passé par l’isoloir, et cela sous peine de l’empêcher de voter. Cette obligation et d’autres, dont doit s’acquitter le chef du bureau de vote, sont sanctionnées à l’article 70 de la même loi par trois à six mois d’emprisonnement ou par une amende de trois à six millions de livres libanaises. Ces dispositions impératives assorties d’une sanction pénale démontrent que le passage dans l’isoloir est l’ordre public dans l’opération de vote parce que la loi a pour objet la protection des libertés individuelles. Elles ne sauraient être contredites par une circulaire émanant du ministre de l’Intérieur comme ce fut le cas lors de l’élection partielle au Metn le 2 juin. Le ministre se fondait sur un arrêt du Conseil constitutionnel du 8 décembre 2000 (déc. n° 15, J.O. n° 61 du 23/12/2000 ; Kassem Abdel-Aziz / Jihad el-Samad) dans lequel la Cour constitutionnelle, après avoir posé comme principe que le secret et la liberté de vote sont garantis par l’isoloir, ouvre à l’électeur la possibilité de manifester publiquement ses tendances électorales en votant publiquement sans passer par l’isoloir à condition qu’une telle attitude ne soit pas commandée par des pressions extérieures qui l’obligent à voter autrement que s’il était entré à l’isoloir, ce qui a pour effet de vicier la sincérité de l’élection. Dans l’espèce en question, le requérant n’avait pas apporté la preuve de pressions. Cette décision appelle les observations suivantes : elle contredit une loi claire, impérative et d’ordre public ; elle rend, contrairement au texte, le passage dans l’isoloir facultatif pour la personne qui désire rendre public son choix. Quant à l’exigence d’une pression, c’est en définitive demander au plaignant la preuve d’un acte occulte passé entre le candidat et l’électeur dans le secret le plus absolu. Or, la loi est expresse, abstraction faite des circonstances politiques qui accompagnent l’élection. Visant à maintenir l’ordre public et à assurer la liberté de vote, elle fait du passage dans l’isoloir une obligation et non une faculté dont on peut se désister pour affirmer ses tendances politiques. Celles-ci s’expriment à l’extérieur et non à l’intérieur du bureau de vote. Ensuite, en vertu du principe de la hiérarchie des normes, cette décision du Conseil constitutionnel ne peut fonder une circulaire ministérielle contraire au texte de loi. Un tel acte administratif, outre qu’il est entaché d’illégalité, permet des agissements qui risquent de compromettre la sincérité et la liberté de vote avec les conséquences que cela entraîne : l’annulation du scrutin. Ainsi, le Conseil constitutionnel en France a annulé le scrutin d’une commune où l’absence d’isoloir n’a pas assuré le respect du principe constitutionnel du secret du vote (Conseil constitutionnel, 9 novembre 1988, référendum néo-calédonien, Rec. p. 199). Le passage dans l’isoloir est à la base de l’élection démocratique, il s’oppose au vote public des sociétés unanimistes. C’est aussi la garantie essentielle de la conscience des électeurs. Karim TORBEY Avocat à la Cour
L’élection est une grande conquête dans la voie de la démocratie. Le vote est libre, encore faut-il protéger la régularité et la sincérité du scrutin. Le secret est la garantie de la liberté de vote qui est le pouvoir d’agir indépendamment de toutes contraintes extérieures. Le secret est assuré par la passage dans l’isoloir, l’obligation d’utiliser une enveloppe...