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Actualités - OPINION

IMPRESSION …Comme quand ma mère sortait le soir

Malades, tous, tant que nous sommes, puisque, disait Knock : «La santé est un état amorphe qui ne présage rien de bon». Il fut un temps pas si lointain où il suffisait de boire à certaines sources, manger du foie cru arrosé d’une lampée d’arak pour tuer les parasites, croquer une pomme à même le pommier, faire laper aux enfants le petit lait de la brebis avec un peu de miel de ruche, et l’on était sûr d’en prendre au moins pour cent ans. Depuis que les sources sont polluées, le foie bourré de prions très résistants à l’arak, depuis que les pommes n’ont plus de vers à cause des pesticides, que les brebis ont des trayeuses à la place de l’agneau et qu’on écrase les ruches et qu’on chauffe le miel pour le conserver au détriment des précieux antiseptiques que les ouvrières déposent dans les alvéoles pour protéger les larves, la nature a changé la santé, et la santé a changé de nature. En ce temps-là, les chambres des malades sentaient l’encens et les vapeurs d’eucalyptus, bruissaient des pia-pias des voisines, des grognements des hommes, autistes par mâle dignité, et des cris des enfants qui voulaient bien jouer dehors, mais sous la fenêtre, que rien ne leur échappe. À eux d’annoncer la visite du dignitaire ou de l’homme de Dieu porteurs d’amulettes et de baumes au cœur. On l’aura bien compris, en ce temps-là, quand on était malade, ce n’était ni de chatouilles ni de gratouilles. C’était pour de vrai. Le reste du temps, il pouvait bien se passer quelque chose, des pâleurs ou des rougeurs étranges, des états de fatigue, des rhumes, des cellules qui s’emballent en silence, des artères qui se bouchent, des douleurs inexpliquées, on n’avait pas besoin de savoir, ni de s’affoler. Vint la Faculté, blouses blanches contre robes noires. Éther contre encens, ordonnances contre prières, et des mots pour les maux naguère anonymes et superbement ignorés. Depuis, on se méfie de sa propre carcasse. Mais qu’est-ce qui se passe là, tout au fond, dans le noir ? On regarde ses proches avec suspicion. Comme des personnes en danger de négligence. Si on le pouvait, on cultiverait le pouvoir chamanique d’observer leur aura en couleurs. Surtout les enfants : ils ont toujours mal quelque part. Ils ont surtout mal à l’école, paraît-il, mal à la nuit, aux parents qui sortent irrémédiablement aussi longtemps qu’on se couche de bonne heure, mal au cartable, mal au réveil et mal de nous. Et tous ces maux se déplacent, de l’oreille à la gorge et de la gorge au ventre en passant par la tête. Ils évoluent à mesure que l’enfant apprend à désigner les parties de son corps. Ça commence par «là, là», puis un jour ils vous annoncent d’un air grave : «Tu sais, j’ai très mal aux poumons». Panique ? Pas panique ? Sirop : on donne, on ne donne pas ? Vaccin : on fait, on ne fait pas ? Antibiotique : pareil. Vite, un docteur. Un pédiatre pour soigner les mamans. Pour leur expliquer que leur engagement de les «mener intacts à l’âge adulte» n’engage pas qu’elles, ou ne les engage qu’à la mesure de leurs moyens. À elles l’amour, à lui la science. Elles finiront par comprendre que la seule certitude est dans leur camp. Fifi ABOUDIB
Malades, tous, tant que nous sommes, puisque, disait Knock : «La santé est un état amorphe qui ne présage rien de bon». Il fut un temps pas si lointain où il suffisait de boire à certaines sources, manger du foie cru arrosé d’une lampée d’arak pour tuer les parasites, croquer une pomme à même le pommier, faire laper aux enfants le petit lait de la brebis avec un peu de miel de...