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Actualités - INTERVIEWS

Interview - Henry Laurens, historien et directeur du Cermoc Le nationalisme palestinien entre la terre et le sacré

Une terre, deux peuples. C’est en ces termes que se pose l’équation, jusqu’à présent non solutionnée, du problème israélo-palestinien. Les paramètres ? Deux nationalismes, pour le moins symétriques. L’inconnue ? Leur coexistence sur une terre dont la particularité tient en sa sainteté aux yeux des deux parties. Henry Laurens, directeur du Cermoc, dont le deuxième tome d’une trilogie sur La question de Palestine vient de paraître, revient sur la naissance du nationalisme palestinien, sa confrontation avec son miroir israélien, afin de comprendre pourquoi, depuis plus de cinquante ans, l’équation de la coexistence demeure non résolue. Comment est né le nationalisme palestinien ? «La naissance d’une identité relève d’une procédure complexe que l’on peut simplifier en la résumant à un ensemble de sources historiques et de processus politiques. En ce qui concerne la Palestine, le terme même est déjà régulièrement employé durant les premiers siècles de la conquête arabe. Il disparaît progressivement de l’usage courant pour être remplacé par le terme : Terre sainte. De la même manière, Jérusalem devient la Ville sainte. Cette relation à la Terre sainte est un élément fondamental de la personnalité ethnique palestinienne. Le premier facteur ayant permis l’existence de l’identité palestinienne est l’idée que les habitants arabes et musulmans sont les défenseurs de cette terre et de ses lieux saints. Cette dimension de l’identité palestinienne sera automatiquement réactivée au début du sionisme. Une restructuration de l’espace économique est également venue donner une réalité distincte à l’ensemble palestinien. Entre 1830 et 1850, l’axe économique régional Haïfa-Damas est détruit et donne naissance à deux nouveaux axes Beyrouth-Damas et Jérusalem-Jaffa. Ce nouvel espace économique sera également consacré juridiquement par la naissance du sandjak de Jérusalem. Étant donné l’importance des lieux saints de Jérusalem, le pouvoir central ottoman veut exercer une surveillance étroite de la Ville sainte et place le sandjak sous sa dépendance directe. Jérusalem acquiert ainsi une nouvelle dimension régionale qui sera renforcée sous l’ère britannique, les mandataires gouvernant à partir de la Ville sainte». À partir de quand les Arabes de Palestine ont-il pris conscience de leur identité nationale ? «Le problème de l’identité apparaît réellement lors de l’effondrement de l’empire ottoman. À la fin de la guerre 14-18, alors que la Palestine est occupée par les Britanniques, deux thèses sont en vogue parmi la population. La première soutient que la Palestine n’existe pas, que cette terre est la Syrie du Sud et ses habitants, les Syriens du Sud. Paradoxalement, cette thèse est défendue par deux ensembles très opposés de la population : les nationalistes arabes, qui rêvent d’un grand État arabe unitaire, et les chrétiens pour une grande Syrie sous tutelle française. Les notables locaux défendent quant à eux la seconde thèse, celle d’une Palestine, car n’ayant pas de projets idéologiques et libérés de la tutelle ottomane, ils préfèrent être maîtres chez eux. Fin 1920, ces deux ensembles parviennent à un compromis que l’on retrouve d’ailleurs dans la plupart des pays arabes, la formule “arabe plus”. Ce compromis est la synthèse d’une appartenance locale, ici palestinienne, et d’une appartenance à un ensemble plus vaste, le monde arabe. Les habitants de Palestine sont donc les Arabes palestiniens. Nationalistes et notables sont satisfaits ; quant aux chrétiens, abandonnés par la France, ils n’ont d’autre choix que de se rallier à la majorité». Toutes les provinces palestiniennes entrent-elles sans mal dans ce processus de construction nationale ? «Entre 1914 et 1920, une réalité palestinienne existait déjà, celle du sandjak, c’est-à-dire sur la région Jérusalem-Jaffa. En construisant le mandat, les Britanniques ajoutent à l’espace géographique du sandjak des territoires du Nord qui dépendaient du vilayet de Beyrouth : Haïfa, Naplouse... Or, ces provinces se sentaient plus rattachées à Damas ou Beyrouth qu’à Jérusalem. Un événement a pourtant fait basculer ces provinces vers le Sud : la révolte palestinienne de 1937. Cette année est celle du premier plan de partage qui prévoit de donner au futur État juif précisément ces provinces du Nord. Sous la menace d’être rattachées à un État juif, ces provinces prennent subitement conscience de leur identité palestinienne. D’autre part, selon les plans britanniques, Jérusalem doit rester sous leur tutelle. Une condition inacceptable pour des Palestiniens dont l’identité se définit, en partie, en référence aux Lieux saints. D’autre part, les Britanniques commencent à s’en prendre à la classe politique palestinienne de Jérusalem et mènent une politique autoritaire sur l’ensemble du pays. Or, plus les Palestiniens perdent sur le terrain, plus l’investissement émotionnel et affectif dans la cause nationale se renforce. C’est donc la réaction au premier plan de partage qui montre que l’identité palestinienne est une identité forte». Dans quelle mesure le phénomène des réfugiés vient-il renforcer l’identité palestinienne ? «Le refus après 1945 des pays arabes d’accorder la nationalité aux réfugiés renforce l’identité palestinienne car celle-ci se construit, dès lors, tout autant par la volonté des Palestiniens de le rester que par la volonté des autres pays arabes de les considérer comme tels». Aujourd’hui, quels sont les facteurs constituants de l’identité palestinienne ? «L’identité palestinienne se définit aujourd’hui autour de deux pôles. Le premier : le sacré. La Palestine est la Terre sainte. Le second pôle est celui du sol, de la terre. Avant la révolte de 1937, le mouvement national palestinien était un mouvement de gens des villes. 1937 est une insurrection rurale. Si, avant cette date, les hommes politiques palestiniens arboraient le tarbouche, les paysans imposent à partir de 1937 un nouveau symbole pour la cause palestinienne : le keffieh. Celui-ci devient le symbole de l’appartenance à la terre et celui de sa défense. La dernière intifada s’articule d’ailleurs autour de ces deux axes : elle démarre sur le premier, la mosquée d’el-Aqsa, et se poursuit sur le second, mettre fin à la colonisation et à l’occupation». Cette double dimension, entre le sacré et la terre, nous la retrouvons dans le sionisme. «Le sionisme et le nationalisme palestinien sont effectivement symétriques. On peut dire également que le sionisme a joué un rôle de déclencheur dans le réveil du nationalisme palestinien, outre les autres facteurs, historique, religieux, économique ou politico-administratif, qui ont déjà préparé le terrain. Et ce que reprochent aujourd’hui les Israéliens aux Palestiniens est de se comporter comme eux l’ont fait envers les Palestiniens». Comment expliquez-vous la politique américaine envers Israël et les pays arabes ? «Les Américains aiment les Israéliens et n’ont que des intérêts chez les Arabes. Ils ont aussi une double identification avec les Israéliens. Les Américains sont le peuple élu, les Israéliens aussi. D’autre part, le mythe fondateur de l’histoire américaine est la conquête de l’Ouest. Dans ce cadre, les Palestiniens sont à mi-chemin entre les Peaux-Rouges et les Mexicains. Il existe donc entre Américains et Israéliens un phénomène identitaire massif du fait de l’esprit pionnier et de la culture biblique des deux parties. Par ailleurs, pour la culture protestante anglo-saxonne, la cause israélienne entre dans la perspective millénariste. Pour parvenir au millénium, tous les juifs doivent être réunis en Terre sainte. Ceci explique que les protestants de la “Bible Belt” au sud des États-Unis soient à la fois antisémites et pro-israéliens. Avec les Arabes, les Américains n’ont que des intérêts politiques, géopolitiques ou économiques». (Propos recueillis par Émilie SUEUR) * «Une mission sacrée de civilisation», deuxième tome de la trilogie sur «La question de Palestine» de Henry Laurens, est publié chez Fayard.
Une terre, deux peuples. C’est en ces termes que se pose l’équation, jusqu’à présent non solutionnée, du problème israélo-palestinien. Les paramètres ? Deux nationalismes, pour le moins symétriques. L’inconnue ? Leur coexistence sur une terre dont la particularité tient en sa sainteté aux yeux des deux parties. Henry Laurens, directeur du Cermoc, dont le deuxième tome d’une...