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Actualités - REPORTAGE

REGARD Jamil Molaeb : peintures, gouaches

L’ombre et la proie Malgré l’existence, au tournant du siècle passé, d’une prétendue «école marine» de Beyrouth, essentiellement composée d’officiers de la garnison ottomane et de leurs élèves ou imitateurs locaux, la tradition picturale libanaise, reposant sur les peintures d’églises, les portraits de féodaux et de bourgeois, les vues et scènes de montagne, de campagne et de ville, a généralement passé l’éponge sur la mer en tant que motif paysager. Aucun peintre strictement marinier donc. Grand vide Jamil Molaeb, qui a pratiqué une abstraction décantée, vastes champs chromatiques uniformes dynamisés en marge par des éclats concentrés de couleurs pures, puise, depuis quelques années, une partie de son inspiration le long des plages libanaises, du Nord au Sud. Après avoir piqué une tête, il s’installe sur place pour peindre directement à la gouache de grandes étendues ensoleillées d’eau et de ciel plongées dans une profonde quiétude : aucun remous, aucune vague, bien que l’été, en général, la mer soit relativement agitée, contrairement à l’automne et à une partie de l’hiver où elle est plate quand elle n’est pas en proie à la violence des vents. Peintures méditatives où les rares événements sont les couleurs aux bords inférieur, supérieur et latéraux du tableau : une ligne de terre, quelques plantes, quelques barques, touches rouges, vertes, jaunes en lisière d’un grand vide à deux tons de bleu, celui du large, celui du ciel. C’est le système à l’œuvre dans les peintures abstraites, mais transposé en termes de paysage marin simplifié, parfois simpliste. La mer laminée L’itinéraire de Molaeb, dans l’ensemble de son œuvre, va globalement du paysage à l’abstraction pour revenir au paysage : regret, repentir, remords ? Le problème, c’est que ce retour est accompagné d’une déperdition d’énergie. Les marines sont trop placides, trop détendues, trop engourdies, comme si elles faisaient la sieste méridienne, alors que les abstractions avaient quelque chose de tonique et de tendu, un rien dramatique. Toute suggestion de crise est ici écartée : c’est l’ennui d’une longue journée de calme, l’esprit vide, le cœur apaisé, les sens à peine effleurés. Quelle heure est-il ? Quelle est la hauteur du soleil sur l’horizon ? On ne le sait pas trop : la lumière diffuse est étale comme la mer laminée par la bonace. Un seul état Ces exercices de peinture sur le motif sont en quelque sorte des devoirs – ou des plaisirs – de vacances. Quelques toiles à l’acrylique rappellent, mais sans la vigueur d’antan, que Molaeb n’a pas entièrement succombé à la tentation du farniente estival, bien qu’on puisse se féliciter qu’un peintre libanais, d’origine montagnarde au demeurant, ait fini par se rendre compte que la mer existe. Mais son attention se limite à un seul des états innombrables de la mer toujours recommencée. Curieusement, pour Molaeb, la grande bleue est synonyme de permanence plutôt que de changement : l’on ne perçoit rien de ses humeurs, de ses caprices, de ses rituels, de ses mythologies. On dirait que Molaeb chérit la mer en passant, en touriste, sans prendre la peine d’approfondir sa connaissance (picturale, j’entends). Régression Ce comportement régressif – on atteint un stade avancé et l’on revient sur ses pas, comme effrayé de sa propre audace – est devenu assez courant parmi les peintres qui le justifient de diverses manières, souvent en se dissimulant à eux-mêmes, par des alibis et des prétextes transparents, qu’il s’agit, en somme, de plaire à un public peu sensible aux aventures picturales. N’est-ce pas là préférer l’ombre à la proie ? (Galerie Janine Rubeiz). Joseph TARRAB
L’ombre et la proie Malgré l’existence, au tournant du siècle passé, d’une prétendue «école marine» de Beyrouth, essentiellement composée d’officiers de la garnison ottomane et de leurs élèves ou imitateurs locaux, la tradition picturale libanaise, reposant sur les peintures d’églises, les portraits de féodaux et de bourgeois, les vues et scènes de montagne, de campagne et...