La trempe des grands

J’admirais, ébahi, ses gestes habiles en salle d’opération, quand, brusquement, il se retourna vers l’infirmière, et lui ordonna d’un ton auguste et éloquent : «Pince SVP 12 trois quarts». Jeune interne en chirurgie, bouche bée cachée sous mon masque, j’attendais de voir quel était l’étrange instrument demandé par le grand maître. Et quel ne fut mon étonnement quand je découvris qu’il ne s’agissait là que d’une simple petite pince, le SVP n’étant que l’abrégé de la formule de politesse la plus courante, élevée à la puissance 12 trois quarts. Et ce nouveau vocabulaire anecdotique et détendu s’enrichissait de minute en minute, contrastant avec le sérieux de la maîtrise de l’acte chirurgical, véritable valse rythmée par chaque geste opératoire, devenue en soi symbole d’élégance. Et petit à petit, je commençai à découvrir ce grand homme qu’était Béchir Saadé. Au-delà du profil du patron en chirurgie, le «Mouallem» pour nous tous, se dégageait une modestie, une absence de prétention, un humour fin, évoluant en mélange harmonieux avec l’humanisme et le don de soi : don pour le patient, don pour l’élève. Il nous apprenait à opérer, il nous apprenait à apprendre. Il nous apprenait comment traiter le malade, le futur élève et même la dulcinée. Il nous apprenait à être. Ton esprit reste à chaque instant vivant en nous, tes élèves, et se perpétuera dans les générations à venir. Ramzi ASHOUSH