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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

CONFÉRENCE - Pascal Monin évoque la place du français au pays du Cèdre - I – La richesse du Liban : sa spécificité culturelle - face à un monde de plus en plus uniforme

Quelle place occupe actuellement la langue française dans les secteurs de la communication médiatique, de l’Internet, du cinéma et de la publicité, au niveau mondial, et au Liban en particulier ? Quel est le rôle que le Liban pourrait jouer sur ce plan ? Dans quelle mesure l’influence de l’américain gagne-t-elle du terrain dans ces différents domaines dans le monde et au Liban ? Autant de questions abordées par M. Pascal Monin, professeur à l’Université Saint-Joseph, responsable du DESS en information et communication à l’USJ, et auteur d’une thèse de doctorat à la Sorbonne sur la présence culturelle française au Liban. Au cours d’une conférence donnée récemment au Mouvement culturel d’Antélias, M. Monin a notamment souligné que le Liban se doit de préserver sa spécificité culturelle et son pluriculturalisme car une telle diversité culturelle et ce dialogue des cultures – thème du sommet francophone qui se tiendra à Beyrouth en octobre prochain – sont des cartes non négligeables que le Liban doit développer dans la région. Par sa diversité culturelle et sa vocation francophone, le Liban a toutes les possibilités de devenir le pivot des pays arabes dans les secteurs de la communication et des nouvelles technologies. (…) Carrefour entre deux mondes, le Liban est considéré comme une terre d’échanges et de brassage culturel. D’une manière générale, le français y garde encore une avance non négligeable par rapport à l’anglais. La langue de Molière demeure en effet, en dépit de tout, la première langue étrangère en usage au Liban. Selon l’enquête que j’ai menée avec l’Institut Ipsos, 45 % de la population libanaise est entièrement ou partiellement francophone. Les anglophones représentent, quant à eux, près de 30 % de la population (voir L’Orient-Le Jour du 24 et du 25 novembre 2000). Mais quelle place occupe la langue française, au niveau mondial, dans cette véritable révolution que représente le mariage de la transmission par satellite, des réseaux en fibre optique et de l’Internet à grande vitesse, ce qui augmente considérablement les possibilités de communication ? Qu’en est-il au niveau de la communication médiatique : presse, livre et édition, médias audiovisuels, cinéma, publicité…? Au Liban, comme partout dans le monde, le statut et l’avenir d’une langue et même d’une culture se mesurent à leurs usage et présence dans les différents moyens de communication. L’enjeu est de taille en ce nouveau millénaire et dépasse les particularismes de la situation du Liban. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont devenues le cheval de Troie d’une certaine forme de mondialisation qui aspire à uniformiser les esprits, les goûts et les couleurs. Malgré les aspects positifs en matière artistique, de formation et d’éducation, le danger plane sur un monde en proie aux multiples manipulations et qui risque de se déshumaniser. Le monde de la communication et des médias est bouleversé par les opérations de concentration, de fusion et par les révolutions technologiques. Les raisons de ces manœuvres planétaires sont claires : nous sommes entrés de plain-pied dans l’âge de la communication interactive aux dimensions de l’univers, par le biais du multimédia et des inforoutes. La perspective de voir l’anglo-américain monopoliser les nouvelles technologies de l’information et de la communication et de s’y faire le propagateur d’une seule culture et d’une seule vision du monde est bien réelle. L’anglo-américain occuperait plus de 87 % du cyberespace, le français moins de 7 % et l’espagnol 2 %. On estime que les utilisateurs d’Internet dans le monde se situeraient autour de 350 millions d’individus. Ce chiffre est appelé à se développer dans les années à venir. Grâce à cette réalité, le nombre de sites Web est multiplié par huit tous les douze mois. Il est donc nécessaire de promouvoir un réel espace francophone dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication et de favoriser la place du français sur les inforoutes, par souci du respect du pluralisme culturel et pour encourager la coopération entre les espaces linguistiques. Seul le français, langue de culture, langue des idées, langue des droits de l’homme et langue de communication, peut le permettre. La francophonie, c’est le respect des identités face aux dangereux effets de la globalisation des réseaux, face à l’émergence d’une «communication monde», selon l’expression d’Armand Mattelart, et face à la culture «Mc World», selon Benjamin Barber. Culture, dont l’objectif est une société universelle de consommation où le pluralisme des valeurs et de la liberté de choix n’existe plus. C’est pour toutes ces raisons, qu’aujourd’hui, plus que par le passé, le Liban se doit de conserver sa spécificité culturelle, son pluriculturalisme, son multilinguisme dans un monde de plus en plus uniforme. Cette diversité culturelle, ce dialogue des cultures, sont des cartes non négligeables que le Liban se doit de continuer à nourrir et à développer dans cette région. C’est son rôle de médiateur, sa richesse essentielle. Dans ce cadre, le Liban a de nombreux atouts dans les domaines de la communication, dont il demeure un des leaders au Moyen-Orient. Comme le rappelle le recteur de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, le père Sélim Abou : «La francophonie se veut un rempart contre l’hégémonie d’une seule langue et le règne d’une pensée unique. Aussi se donne-t-elle pour principe d’action prioritaire la promotion de la diversité linguistique et culturelle. Les Libanais, dit-il, peuvent être trilingues ou polyglottes, mais ce qui a contribué à forger leur identité nationale, c’est le français dans sa conjonction étroite avec l’arabe. Aux côtés de l’arabe, langue officielle du pays, le français est vécu non seulement comme langue de communication, mais aussi comme une langue de formation et de culture à portée identitaire». Le Liban a donc toutes les possibilités et même la vocation de devenir le pivot des pays arabes dans les secteurs de la communication et des nouvelles technologies. Cela est possible en s’appuyant sur le haut niveau d’instruction de sa population, sur son savoir-faire en matière de médias, de publicité ou de l’édition (…). Le cinéma Parallèlement, les Libanais, ou du moins une grande partie d’entre eux, sont demandeurs de programmes français ou en langue française. Une étude récente que nous avons menée dans la région du Grand Beyrouth et du Mont-Liban, a montré que dans 75 % des cas, la chaîne Euronews est proposée par les centres de distributions collectifs en langue française. Cela renforce l’idée de l’importance de cette langue dans la communication médiatique auprès des Libanais. Par ailleurs, et en ce qui concerne la programmation de films français au Liban, il serait important de relever qu’avant le déclenchement de la guerre, le cinéma français occupait une place de choix par rapport aux films américains. Les films français faisaient salles combles. Depuis, la situation a changé. Ainsi, 8 % seulement de films français étaient à l’affiche en 2000, contre 80 % de films américains, le reste étant essentiellement des films égyptiens ou indiens. Cette situation reflète la quasi-absence du cinéma français des salles obscures libanaises. Par contre, le cinéma américain prouve une fois de plus sa suprématie. Mais cette suprématie américaine sur le septième art n’est pas spécifique du Liban. Même la France souffre de cette américanisation à outrance du cinéma. Les distributeurs libanais mettent donc à l’affiche essentiellement des produits américains. Les compagnies américaines, propriétaires de ces films, structurent le marché cinématographique libanais. Les réseaux de salles de cinéma, qui se sont multipliés depuis 1996, appartiennent essentiellement à trois propriétaires qui ne sont autres que les agents des compagnies américaines. Ces dernières contrôlent ainsi indirectement les distributeurs et les exploitants libanais, donc les salles de cinéma au Liban. L’autre grave problème du cinéma français au Liban est la non-programmation de tous les films dont les droits ont été cédés aux professionnels libanais. Non seulement beaucoup de films français restent dans les armoires, mais ceux qui obtiennent la chance d’être à l’affiche ne sont programmés que plusieurs mois après leur sortie en France. Nombreux sont donc les films qui ont dû attendre de longues semaines une sortie sans cesse repoussée par la programmation prioritaire des productions américaines. Cette américanisation rampante est également perceptible dans le secteur de la publicité.
Quelle place occupe actuellement la langue française dans les secteurs de la communication médiatique, de l’Internet, du cinéma et de la publicité, au niveau mondial, et au Liban en particulier ? Quel est le rôle que le Liban pourrait jouer sur ce plan ? Dans quelle mesure l’influence de l’américain gagne-t-elle du terrain dans ces différents domaines dans le monde et au Liban ? ...