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Actualités - BOOK REVIEWS

VIENT DE PARAîTRE - « Maurice Gemayel, pionnier de la planification au Liban » - L’homme du « perpétuel mouvement »

Esprit fertile «en perpétuel mouvement», comme il s’est décrit un jour, Maurice Gemayel est décédé en 1970, à l’âge de 60 ans, après une carrière de parlementaire, de ministre et de planificateur unique dans les annales libanaises. Certes, le Liban n’a jamais manqué d’hommes de valeur et de pionniers qui, le plus souvent, hélas, n’ont pas été écoutés. L’originalité du pionnier Maurice Gemayel, c’est d’avoir cumulé l’action politique et la planification. Rétrospectivement, on mesure la portée d’une pensée globalisante et analytique à la fois, qui s’est exercée sur tous les aspects de la vie du Liban, sociale, politique et économique. Afin de commémorer le trentième anniversaire du décès de Maurice Gemayel, et pour conserver son héritage culturel, ses filles ainsi que son frère, Raoul Gemayel, ont décidé de réunir ses écrits et projets concernant le Liban, les pays arabes et le monde. La compilation des divers ouvrages, publications, conférences et projets, éparpillés entre son domicile de Bickfaya et l’Université Saint-Esprit, à Kaslik, où est conservée sa bibliothèque, viennent d’être mis à la disposition des lecteurs, en deux volumes, arabe et français. «L’eau, il est à peine besoin de le rappeler, est l’élément de base du développement humain, social et économique», écrivait Maurice Gemayel en 1951, en introduction à son étude fondamentale sur la Planification intégrale des eaux du Liban. «Où en est l’utilisation des eaux libanaises ? ajoutait-il, au stade de l’anarchie quand l’eau est exploitée. Et quand elle ne l’est pas, nous sommes au stade primaire où l’eau se perd dans le sous-sol et à la mer, pendant que des villages et des villes entières souffrent de soif… De ces constatations est née l’idée d’une utilisation générale des eaux du Liban, de toutes les eaux du Liban pour donner une base rationnelle et définitive à l’économie libanaise». «Mais toutes les eaux du Liban ne sont pas également rentables pour mériter de faire l’objet d’une exploitation», ajoutait Maurice Gemayel, «aussi, ce n’est pas une exploitation que nous recherchons, mais une valorisation. L’exploitation enrichit l’entrepreneur. La valorisation enrichit le pays. D’où la nécessité d’une planification générale dans le but de valoriser l’ensemble de l’économie libanaise et non point exploiter systématiquement des possibilités de l’eau. Cette planification constitue donc une entreprise d’équipement national de base assurant la valorisation du secteur riche aussi bien que du secteur pauvre ( l’irrigation ne sera pas sacrifiée à l’électricité), même au risque de diminuer le rendement général parce que cette diminution se fera au profit de l’ensemble des activités économiques nationales, but final de la planification». Et voilà, en quelques phrases, un résumé magistral de ce qu’était Maurice Gemayel : l’homme de la planification intégrée de tous les secteurs productifs et de toutes les régions du pays. L’homme, avant la lettre, du «développement équilibré des régions», une expression consacrée par l’accord de Taëf, une notion simple, élémentaire, qu’il a pourtant fallu des décennies pour imposer. À l’heure où cette question est d’actualité, avec l’exploitation des eaux du Wazzani, et surtout après la décision du Koweït de financer en grande partie le projet d’irrigation à partir des eaux du Litani, à l’heure aussi où le réchauffement planétaire pose la question des ressources en eau de la région tout entière, il n’est pas indifférent de relire Maurice Gemayel, le crayon à la main. De souligner ce qui, à quelques mises à jour statistiques près, reste d’une brûlante actualité. Car non seulement le Liban n’a pas tenu compte de ce cette planification visionnaire, mais comme le soulignent les observateurs, il a eu honte de cette richesse hydraulique. Non seulement il ne l’a pas exploitée, mais il l’a cachée, et se l’est cachée. « L’attentat contre le Liban » La pensée de Maurice Gemayel avait une autre facette majeure, l’analyse sociale, politique et historique. La pertinence de sa critique du «confessionnalisme politique», qu’il appelait «néoféodalisme», reste d’actualité, même s’il est difficile de le suivre jusqu’au bout sur le terrain de la critique du système électoral, qu’il a préconisé de remplacer. Dans un texte de 1953, Maurice Gemayel décrit les incidents confessionnels de 1860 comme un «attentat contre le Liban» perpétré par la Sublime Porte et les puissances occidentales, et préparé vingt ans auparavant par la destitution de l’émir Béchir II. Cette destitution avait marqué, selon lui, le début d’une dislocation politique qui sera parachevée par les massacres de 1860, essentiellement provoqués, selon Gemayel, «par des féodaux exploitant un motif religieux pour défendre leurs privilèges menacés et maintenir leur domination». La plus grave conséquence de cette dislocation est le changement de l’assise féodale qui, de territoriale, devient confessionnelle, souligne-t-il. C’est un attentat direct à la convivialité. Pour couronner cette dislocation ou, mieux, pour la nourrir, on planifie l’appauvrissement du Liban et on ancre dans les mentalités l’idée que le pays est naturellement pauvre. Dès 1953 donc, Maurice Gemayel voit dans le développement économique le moteur de la libération des Libanais du clientélisme politique, et la voie royale vers la citoyenneté. Par contre, après cette analyse rigoureuse des méfaits du «néoféodalisme» confessionnel, dont les ravages se constatent aujourd’hui à tous les niveaux de l’appareil de l’État, et une critique non moins rigoureuse et pertinente du système électoral, Maurice Gemayel finit par une proposition «originale». Il suggère «la suppression du système de l’élection et l’adoption du tirage au sort pour le recrutement des assemblées représentatives» sur le modèle de la république de Sparte. C’est ce type de proposition qui a donné à certains des projets visionnaires de Maurice Gemayel leur caractère «utopique», si étranger à la mentalité dite «pragmatique» du Libanais qui, par son utilitarisme, n’est pas non plus à l’abri des critiques. La civilisation du savoir Impossible de clore cette brève présentation sans parler du Centre international des sciences de l’homme dont le directeur de l’Unesco René Maheu approuvait la création à Byblos, sur un terrain de 300 000 mètres carrés offert par Manuel Younès, dix sept ans après une proposition en ce sens faite par Maurice Gemayel. Au fil des années, et avec une «mobilité méthodologique» qui lui était propre, Gemayel avait adapté, affiné, épanoui ce projet qui lui tenait particulièrement à cœur, et qui prendra finalement la forme que nous lui connaissons. Tel que rêvé par Maurice Gemayel, ce Centre international des sciences de l’homme etait beaucoup plus qu’un institut de plus dans le paysage académique. L’avant-projet de l’Unesco précisa les différentes fonctions de ce centre : forum de rencontres, institut de recherche, office de documentation et service de traduction et de diffusion. Il tenait compte de la vocation culturelle du Liban «point de rencontre de l’Asie, de l’Afrique et de l’Europe, carrefour de civilisations orientales et occidentales» et de Byblos, «berceau de l’alphabet, cité du livre». Cinquante ans avant l’éclosion de la «civilisation du savoir», Maurice Gemayel avait eu l’intuition de l’importance croissante qu’allait prendre le développement du savoir dont les nouvelles technologies de communications sont les vecteurs, et la supériorité qu’il allait donner aux peuples qui le maîtriseraient le mieux. Homme de science, politique, député, président de la commission parlementaire du Plan, président de la FAO et finalement ministre du Plan, Maurice Gemayel avait une envergure humaine et scientifique qu’on saisit mieux grâce à l’ouvrage en deux tomes qui vient de paraître. Ouvrage qui étoffe et complète la biographie publiée aux éditions Librairie du Liban dans la série Les Grands du Liban, grâce aux soins de l’une de ses filles.
Esprit fertile «en perpétuel mouvement», comme il s’est décrit un jour, Maurice Gemayel est décédé en 1970, à l’âge de 60 ans, après une carrière de parlementaire, de ministre et de planificateur unique dans les annales libanaises. Certes, le Liban n’a jamais manqué d’hommes de valeur et de pionniers qui, le plus souvent, hélas, n’ont pas été écoutés....