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Actualités - REPORTAGES

Tribune - Un pays unique condamné, peut-être, à rester en éternelle gestation - Liban 2001 : le pari pluriculturel

Si le Liban a été choisi pour être à l’aube du IIIe millénaire le lieu du prochain sommet des chefs d’État francophones en octobre 2001 sur le thème du dialogue des cultures, cela n’est pas dû au hasard et devrait nous pousser à développer une réflexion indispensable et salutaire sur notre identité culturelle et son adéquation avec notre système politique. Le Liban est un pays arabe qui devient un espace de rencontres de la francophonie. La francophonie, elle-même aujourd’hui sous l’égide de Boutros Boutros-Ghali, ancien secrétaire général de l’Organisation des Nations unies et actuel secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie, se veut la promotrice de la diversité culturelle. Le thème du sommet, le dialogue des cultures, est, simultanément, le thème de l’année des Nations unies. Le Liban étant multicommunautaire, la religion constituant un des aspects majeurs de la culture, est donc, force est de le reconnaître, multiculturel ou pluriculturel. Or le Liban est le seul pays multiculturel dans le monde démocratique qui demeure régi sur un mode unitaire. Si nous observons tous les pays du monde démocratique, ils sont gouvernés selon deux catégories, soit sur le mode unitaire, s’ils sont uniculturels, soit sur un mode fédéral s’ils sont multiculturels. Le Liban est le seul pays au monde qui, quoique multiculturel, se veut gouverné démocratiquement sur un mode unitaire. Nous aimerions trouver sur cette planète un seul exemple duquel s’inspirer ou se rapprocher. Certes la formule libanaise qui est toujours à réinventer est fascinante car elle soutient le pari idéaliste et insensé de faire coexister et même de faire se fondre dans un même creuset des références culturelles identitaires distinctes, ce qui transforme le Liban en un champ d’expérimentation merveilleux et hasardeux. Certes la formule libanaise est vivante, dynamique. Elle entretient le rêve utopique et généreux de mettre en osmose des êtres humains qui, tout en gardant leurs spécificités culturelles singulières, prétendent créer un modèle unique de convivialité et d’appartenance commune qui superpose l’appartenance communautaire et l’appartenance nationale et crée, du coup, un double discours qui va être en même temps communautaire et national, confondant les deux sphères et provoquant sans cesse un non-dit latent, un dédoublement sinon une pathologie. La formule libanaise est émouvante et pathétique dans ce désir de concilier, en les superposant, deux appartenances, qui, pour pouvoir se rejoindre et se prolonger, devraient au préalable être identifiées comme distinctes et séparées. Or le Libanais se veut communautaire et national en même temps, ce qui fait que la nation n’est plus que la négociation permanente et laborieuse de tous les projets communautaires qui persistent en filigrane et créent dans leur désir de se préserver et de se déguiser un discours apparent d’ouverture, sujet à tout moment à une récupération politique violente et à un repli identitaire archaïque. Il faudrait, en passant en revue toutes les formules du compromis libanais, du pacte de 1943 aux accords de Taëf de 1989, ainsi que l’attitude de tous les leaders politiques libanais musulmans et chrétiens confondus, se pencher sur cette ambiguïté qui fait que nous sommes tiraillés constamment entre revendication nationale et revendication communautaire et que le même discours que nous présentons comme national demeure dans sa motivation profonde communautaire. Tout projet national se transforme immédiatement en une revendication communautaire, ceci s’expliquant autant par rapport à l’appel au secours et au retrait des uns, qu’en ce qui concerne l’implantation, l’invasion et la libération des autres, chaque communauté s’accaparant le projet national dont elle se présente comme étant le dépositaire et la garante, créant la rétention ou la surenchère des autres communautés. Seule, hélas théoriquement, une dictature militaire inadmissible pourrait, en uniformisant, imposer un modèle unique supracommunautaire. Or, nous continuons à confondre démocratie des institutions et compromis des communautés. La démocratie intervient dans un pays industrialisé sur base de programmes de partis politiques pouvant faire alterner majorité et opposition. Or, le Liban, qui est directement passé d’une économie de type primaire à une économie de type tertiaire, reste un pays en voie de développement d’un type particulier puisqu’il essaie de concilier, encore une fois, la logique des structures multinationales avec des structures claniques, féodales, familiales et communautaires. Et cette superposition nous fait aboutir, conjointement, à un sens de l’universalité et à une disposition à l’éparpillement. Ce qui est éclatant ou rayonnant est aussi éclaté, morcelé. Ce qui sauvegarde les libertés au Liban, c’est cette tractation au jour le jour qui, en préservant les communautés dans un système unitaire, nous empêche d’accéder au stade proprement national en tant qu’espace indépendant des communautés. Il n’y a pas, encore une fois, de pays dans le monde démocratique qui soit pluriculturel et régi sur un mode unitaire qui soit intermédiaire, toujours en mutation, sans modèle de référence. Le Liban, en maintenant cette invention, se donne le luxe d’une apparence de démocratie mais se prive de mettre sur pied un véritable système politique rationnel et cohérent qui garantisse l’égalité des Communautés en les préservant et en définissant leur champ d’action de manière distincte du champ national. Nous ressemblons de par notre composition pluriculturelle à la Suisse, à la Belgique, au Canada, et nous voulons à tout prix appliquer le modèle français. Ce qui fait que nous ne parvenons plus à appliquer et même à interpréter unanimement un seul article de notre toute récente Constitution. Même notre francophonie se voudra demain profondément arabophone et peut-être même, qui sait, anglophone. Voilà notre paradoxe, notre force et notre fragilité. Nous sommes le pays du dialogue des cultures, de la coexistence des communautés et des cultures. Nous sommes un pays pluriculturel qui veut continuer désespérément à fonctionner sur le mode unitaire, à travers un compromis intercommunautaire qui se veut démocratique dans un environnement de dictatures même laïques et éclairées. Ce qui fait de nous un pays unique, potentiel, en perpétuel devenir, mais condamné, peut-être, à rester en éternelle gestation. Bahjat E. RIZK Juriste, spécialiste en droit international public
Si le Liban a été choisi pour être à l’aube du IIIe millénaire le lieu du prochain sommet des chefs d’État francophones en octobre 2001 sur le thème du dialogue des cultures, cela n’est pas dû au hasard et devrait nous pousser à développer une réflexion indispensable et salutaire sur notre identité culturelle et son adéquation avec notre système politique. Le Liban...