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Actualités - REPORTAGES

DESIGN - Rencontre avec les participants de la biennale - La créativité lutte contre les contraintes locales

L’exposition «Aller-retour dans le design, Beyrouth-Saint-Étienne», qui se tiendra jusqu’au 17 janvier au CCF, a le mérite de présenter dans le même espace les objets de designers confirmés comme ceux d’étudiants spécialisés. Une vingtaine de luminaires, tables gigognes, chaises longues, bancs, mais aussi bougeoirs, lits, valets de chambre et tabourets de jardin, sont réunis pour témoigner d’une certaine vivacité du design libanais, qui, cependant, est loin d’être une réalité, dans des termes économiques et sociologiques. Comme l’explique Nabil Gholam, architecte urbaniste de profession et designer, avec sa femme Ana Corbero, pour leurs amis, «la tradition du pays va plutôt vers un intérieur chargé et une nette préférence pour un mobilier classique». Donc, les objets épurés, réduits à leur plus simple expression et utilisant le plus souvent des matériaux peu coûteux, sont encore considérés avec réticence. Exemple : les tables gigognes de Nabil Gholam et les luminaires d’Ana Cerbero ont été réalisés en acier rouillé verni : «Nous avons travaillé selon une géométrie simple et basique», explique l’architecte. «Nous ne perdons pas de vue l’adaptabilité extrême de ces meubles ni, évidemment, une très grande réduction des coûts (les objets se vendent entre 30 et 100$ pièce)». Joe Ingea, pour sa part, a travaillé, de 1986 et 1994, à Milan, avec deux grandes agences de design, Ettore Sottsass et Makio Hasuike. Rentré au Liban en 1995, il est revenu vers sa formation initiale : architecte. Il a présenté à Saint-Étienne une chaise longue réalisée avec le bois local, avec une courbe «très zen» : «J’ai fait une tentative de design au Liban, en créant cinq plateaux avec les bois libanais», dit-il. «Mais la production et le succès n’ont pas suivi». Joe Ingea est un des rares designers libanais à avoir réalisé des objets édités à l’étranger : parmi eux, une montre Davidoff et des bagages pour la marque MHWay. Il constate comme tous ses collègues que le design au Liban est presque impossible. Modulable et urbain Kabalan Tabet, architecte d’intérieur qui a présenté à la biennale des lampes créées à partir du caoutchouc, enfonce le clou en expliquant que «les Libanais sont encore très attachés à la tradition, bien qu’ils soient ostensiblement tournés vers l’extérieur du pays». Son travail de la lumière s’est fait autour du paradoxe : matière noire et blancheur de l’éclairage. Il s’agit pour lui de «créer une ambiance, et de créer des formes dans une unité. À chaque espace correspond un objet : c’est le but de l’architecture». S’adapter aux contraintes du pays, c’est encore le souci de Raëd Abillama et Karim Chaaya, qui ont fondé en 1998 ACID (Abillama Chaaya Industrial Design) : «Nous avons créé notre propre usine, pour traiter l’objet depuis son commencement», explique Karim Chaaya, avant de montrer le banc qu’ACID a présenté à Saint-Étienne : bois et métal, entièrement amovible pour s’adapter à la ville. «Nous l’avons décliné en 7 variantes, et il est fabriqué à partir d’une clé que nous avons créée pour qu’il soit le plus modulable possible». ACID est surtout connu pour la réalisation d’ascenseurs panoramiques, de balustrades et de détails architecturaux. Sophie Skaf, architecte restauratrice de vieilles bâtisses et cofondatrice de Table Rase, présente un travail assez particulier sur la cicatrice : trois pièces en bois, dont les jointures sont de trois sortes différentes : «J’ai toujours aimé les coutures apparentes», explique-t-elle, qui évoque forcément le fil et l’aiguille, mais aussi l’agrafe. Trois techniques, donc : par scellement, par vis et par positif/négatif (encastrement des pièces de bois). Elle présente aussi un travail sur la densité et le matériau, avec des cendriers à cigare en palissandre, en pavé et en plomb. Simplicité abstraite Douze étudiants de la promotion de design de l’Alba pour leur première apparition sur la scène internationale : Joseph Abd, Gabrielle Bou Habib et Mounir Monla ont créé des bougeoirs, Roseline Metni, Caline Morcos et Marc Schehadé des valets de chambre, Zeina Salameh et Bianca Michailidis un lit, Mounia Matta une desserte, Nabil Karam un tabouret mobile de bricolage, Myriam Akl, un pique-fleur, encens et bougie et Marc Baroud un jouet en bois. Le jouet est un peu à part : il s’agit d’un projet de loge (un sujet donné à réaliser en 8 heures seulement) en bois : forme abstraite, inoffensive en bois, dont les éléments tournent dans les 2 sens. C’est la rapidité de la création qui impressionne, ici. Myriam Akl a voulu travailler le thème des fils barbelés : mais la pièce du haut, qui devait être réalisée en acier brut chromé, s’est faite avec de la simple tôle. Quant au support en bois convexe, il est en bois mat. Idée intelligente mais peut-être un peu vue. Nabil Karam a rencontré de nombreux obstacles pour la réalisation de son tabouret de bricolage : conçu à partir de l’idée ingénieuse de la goutte d’eau, l’objet devait initialement être réalisé en plastique, mais a été finalisé en bois. Beau concept pour Mounia Matta et sa desserte : le couple moderne doit s’entraider, et se traduit par des formes géométriques pures, en bois et inox. Seule petite déception : les roulettes, prévues en inox, sont en plastique. Une époque pressée Bianca Michailidis a imaginé un lit convertible pour recevoir ses amis dans sa chambre : d’où des tubes en inox incurvés qu’on peut déplacer et sur lesquels coulissent de gros coussins colorés en stretch. Du multifonctionnel un peu vu, aussi. Un lit plutôt sympathique signé Zeina Salameh. Concept : bon marché et pratique à déplacer. Un sommier en plastique ABS à trous pour permettre au matelas de respirer, et des barres en inox pour les pieds. Marc Schehadé a suivi à la lettre l’autre nom du valet de chambre, «valet muet» : une forme qui semble agenouillée, en silence, prêt à recevoir les vêtements. Le «bon pli» est rendu par un astucieux travail de la tôle et du cuir. Caline Morcos a travaillé son valet de chambre selon la transparence, avec l’utilisation du plexiglas (qui sert aussi de pense-bête), et le hors-normes : un travail épuré. Quant à Roseline Metni, elle a adapté le valet de nuit à l’époque : une époque pressée où on ne prend pas le temps de pendre soigneusement ses affaires. Elle a utilisé un pouf en guise de pied, sur lequel on peut s’asseoir pour, par exemple, enlever ses chaussures, et une ligne un peu inclinée avec, au bout, un cintre, le tout en inox. Très ludique. Le bougeoir de Gabrielle Bou Habib a été conçu en lien avec les 4 éléments et le cosmos : une bonne idée en plexiglas et en acier inoxydable composée de 4 palettes au bout desquelles on pose les bougies. Enfin Joseph Abd, qui a la chance de voir son bougeoir sponsorisé par un argentier local, s’est inspiré de la déclinaison du mot «bougie», qui donne «bougeoir», mais aussi «bouger» : une plaque en acier sur laquelle on pique, dans les interstices prévus à cet effet, les bougies selon son envie. Une belle création qui mérite d’être éditée. Le design au Liban ? Très difficile donc, à cause des contraintes de matériaux et du marché. Le mieux, c’est évidemment de vendre ses idées à l’étranger pour être édité à l’international, ou de s’adapter, à la baisse, aux exigences locales. Mais, à l’exemple du jeune tandem créatif d’ACID, il vaut mieux trouver une niche. En tout cas, il convient de rendre hommage aux remarquables efforts de Table Rase qui croit et encourage le talent.
L’exposition «Aller-retour dans le design, Beyrouth-Saint-Étienne», qui se tiendra jusqu’au 17 janvier au CCF, a le mérite de présenter dans le même espace les objets de designers confirmés comme ceux d’étudiants spécialisés. Une vingtaine de luminaires, tables gigognes, chaises longues, bancs, mais aussi bougeoirs, lits, valets de chambre et tabourets de jardin, sont...