Actualités - OPINION
Courrier A bon entendant, salut
Par BUSTROS Mitri, le 05 août 1999 à 00h00
Cet après-midi-là, j’avais décidé de conduire en direction de Jounieh. Affronter la circulation en fin d’après-midi aux sorties de Beyrouth fait quelquefois réfléchir. Après mûre réflexion, je résolus quand même de reprendre les bonnes habitudes et de braver la circulation afin de goûter un moment de détente au bord de la mer. Après tout, une fois arrivé, on a vite fait d’oublier les misères du trajet et les membres engourdis par la conduite. Mais voilà qu’à coups d’arrêts et de faux départs, la voiture lâche et refuse de repartir. Je me retrouve donc à Dora, pris dans un formidable rodéo mécanique, entouré, d’apprentis pilotes qui n’ont pas dans le regard que des élans de sympathie à mon égard. Cellulaire-providence en main, j’appelle au plus vite l’assurance dépannage : miraculeusement, j’ai sur moi tous les matricules, numéros d’identification exigés, et la dépanneuse est promise pour la demi-heure qui suit. En attendant, deux âmes charitables et moi-même poussons la voiture sur le côté de la route, afin de dégager la voie de circulation. Cinq minutes sont à peine écoulées que la dépanneuse est sur place. On ne fait pas mieux. J’explique alors au mécanicien le problème. Il murmure quelque chose que je ne saisis pas. Je répète. Il répond. Je ne comprends pas. Il est sourd ? Non non. Il refait un signe pour m’expliquer : il est sourd-muet. Bon. Me voilà donc essayant de décrire au mécanicien ce qui s’est passé, afin de l’aider à établir son diagnostic : gestes précis, accompagnés d’une lecture du mouvement des lèvres ; nous arrivons à nous comprendre. Malheureusement, il n’y a rien à faire pour la voiture. Il faut la porter au garage. À nouveau gestes, signes, monosyllabes, et nous voilà de retour en direction du centre de Beyrouth. Nous étions presque arrivés au garage quand mon téléphone sonne. C’est l’assureur. Il me signale que la dépanneuse est en route pour Dora. – Comment en route ? Je suis avec la dépanneuse ! – Non non. Ce n’est pas une des nôtres. Vous vous êtes laissé embarquer par un de ces dépanneurs volants à l’affût de conducteurs dans le pétrin. La situation n’était pas drôle pour tout le monde : les embouteillages, la panne, la dépanneuse, l’assurance, l’arnaque, c’en était trop. Je fouille alors dans mes poches pour m’assurer que j’avais suffisamment d’argent pour régler la note qui promettait d’être salée. Je ne trouve que 20 dollars ! La poisse ! Décidément. Plus qu’une solution : me faire raccompagner à mon domicile par la dépanneuse pour être en mesure, le cas échéant, de régler la course. Droite, gauche. À nouveau gestes de la main. Nous nous faufilons dans les ruelles d’Achrafieh dans cet énorme mastodonte qui a peine à passer jusqu’à mon domicile. Enfin. – Alors. Je vous dois combien ? – Il murmure : 20 dollars. Ma surprise est totale : contre toute attente, le tarif est très honnête. Ce dépanneur mérite vraiment quelque chose de plus. Je fouille une dernière fois dans mes poches, et trouve encore trois billets de 1 000 LL que je lui tends. D’un geste de la main il repousse l’offre avec un léger sourire et répète : 20 dollars «bass». Il le dit avec tant de bonhomie et de tranquillité que j’en suis ému. Il sort alors sa carte et me fais comprendre que si des fois j’avais besoin d’une dépanneuse, je pouvais l’appeler au numéro de cellulaire inscrit sur la carte. Un cellulaire ? Il comprend immédiatement l’hésitation dans mon regard et saisit sans dire un mot l’appareil qu’il porte à la ceinture en l’agitant : je comprends alors qu’au prochain appel, un auxiliaire lui enverra un message lui indiquant sa prochaine destination. C’est vrai que quelquefois on apprend tellement, en si peu de temps, en si peu de mots.
Cet après-midi-là, j’avais décidé de conduire en direction de Jounieh. Affronter la circulation en fin d’après-midi aux sorties de Beyrouth fait quelquefois réfléchir. Après mûre réflexion, je résolus quand même de reprendre les bonnes habitudes et de braver la circulation afin de goûter un moment de détente au bord de la mer. Après tout, une fois arrivé, on a vite fait...
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