Actualités - OPINION
Tribune En proie aux flammes
Par AZIZ Philippe, le 25 juin 1999 à 00h00
Le Cachemire constitue probablement le foyer insurrectionnel le plus agité du monde tant par ses ramifications par rapport à l’intérieur indien que par son interaction avec les autres conflits régionaux. Après l’alerte de 1989-1990, le risque d’une conflagration classique, voire nucléaire, n’a cessé d’augmenter et les rapports annuels de l’Institut des recherches sur la paix de Stockholm sont à cet égard de plus en plus alarmants. C’est que la dissuasion nucléaire ne fonctionne pas dans cette région et la situation paraît bloquée en raison notamment de l’absence d’intervention efficace des instances internationales et de facteurs qui puisent leurs origines à la fois au niveau régional et interne. Réserve faite des particularités de la question du Ladakh et de celle du Siachen à l’intérieur même du Cachemire, les causes du conflit sont de trois ordres : – D’abord un ordre international. Après l’effondrement de l’URSS, la scène régionale assiste à un renouveau du militantisme islamique. Celui-ci se traduit au Cachemire – province à majorité musulmane, 95 % de la population – par des revendications identitaires qui créent des complexes obsidionaux remettant en cause l’Union indienne déjà fragile. Ces complexes sont encouragés par le Pakistan qui est un pays morcelé en un grand nombre de communautés dont le seul dénominateur commun est l’islam. En annexant le Cachemire, Islamabad se trouverait conforté dans son identité de puissance musulmane. Par ailleurs, le jeu des alliances sino-pakistanaise d’une part, et indo-russe d’autre part ne facilite pas les choses. – Ensuite des facteurs internes et religieux. Ainsi sur le versant indien, le parti au pouvoir du Premier ministre (le BJB), à forte composante nationaliste hindoue et dont la coalition a perdu dernièrement la majorité, veut se placer comme le défenseur d’une union multiculturelle. Le Cachemire lui fournit un prétexte de premier ordre. De même, les autorités de New Delhi, faisant face au regain des troubles interconfessionnels inhérents à la composition même de l’Inde, mosaïque de peuples, de langues et de religions, rejettent toute idée d’indépendance pouvant servir de précédent qui risquerait, à long terme, de conduire à l’implosion de l’Union. Là aussi, le facteur religieux n’est pas à négliger si l’on considère que le Cachemire a constitué au fil des siècles un des hauts lieux de l’hindouisme et du bouddhisme avant d’être islamisé au 14e siècle. – Enfin à côté de ces considérations, se trouvent des raisons d’ordre stratégique. Si Islamabad agit officiellement par solidarité ethnique et religieuse, sa politique vise officieusement un triple but: accroître la profondeur stratégique du Pakistan, ouvrir un second accès vers la Chine et contrôler enfin les sources de tous les grands fleuves qui traversent son territoire pour diminuer sa vulnérabilité vis-à-vis de l’Inde. Mais c’est surtout dans les divergences relatives à la conception même de l’étendue du Cachemire qu’il faut aller chercher l’origine des blocages actuels. En effet, si l’Inde revendique l’intégralité des territoires actuellement contrôlés par la Chine et le Pakistan, c’est que sa conception du territoire cachemiri est assez large et comprend le Cachemire historique, c’est-à-dire les territoires anciennement administrés par le maharadjah du Cachemire au XIXe siècle et qu’il obtint soit par héritage (le Jammu), soit par achat (la Jhelum) ou par conquête militaire (le Ladakh). Accepter l’intervention des instances internationales reviendrait pour New Delhi à voir s’appliquer dans ce cas les principes internationaux, ce qui risquerait à la longue de la priver de tout ou partie de ces territoires. À ce titre, l’exemple du Kosovo constitue un précédent. Le Pakistan, quant à lui, prêche le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il importe donc pour lui de placer le conflit sous l’égide internationale et de voir appliquer, en conséquence, les préceptes universels. C’est ce qui explique entre autres la sollicitation des membres du G8 par Islamabad à prendre position en faveur d’une solution globale. Malheureusement, l’internationalisation du dossier demeure peu probable pour le moment. Le conflit s’éternise et tant les Pakistanais que les Indiens pourraient bien ressembler à ces papillons fous dont parle Michel Chiha, «fascinés par la flamme qui, une génération après l’autre, vont délibérément se brûler aux lampes, confondant le feu avec la lumière».
Le Cachemire constitue probablement le foyer insurrectionnel le plus agité du monde tant par ses ramifications par rapport à l’intérieur indien que par son interaction avec les autres conflits régionaux. Après l’alerte de 1989-1990, le risque d’une conflagration classique, voire nucléaire, n’a cessé d’augmenter et les rapports annuels de l’Institut des recherches sur la paix de Stockholm sont à cet égard de plus en plus alarmants. C’est que la dissuasion nucléaire ne fonctionne pas dans cette région et la situation paraît bloquée en raison notamment de l’absence d’intervention efficace des instances internationales et de facteurs qui puisent leurs origines à la fois au niveau régional et interne. Réserve faite des particularités de la question du Ladakh et de celle du Siachen à l’intérieur même du...
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