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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Conférence-débat à la lumière de la course nucléaire indo-pakistanaise Le monde arabe doit croire à son destin commun, affirment Mohamed Hassanein Haykal et Ghassan Tuéni (photos)

Samedi, dans la salle de conférences pleine à craquer de l’Ordre des avocats, Beyrouth et Le Caire sont redevenus, l’espace d’un débat, au centre de la pensée arabe. Les nostalgiques de la grande «oumma» ont écouté passionnément le journaliste et penseur égyptien Mohamed Hassanein Haykal, fidèle compagnon de Gamal Abdel-Nasser, aujourd’hui historien de cette époque de «la grandeur arabe», et Ghassan Tuéni, PDG d’An-Nahar et «militant de la cause arabe», selon ses propres termes. Entre les deux hommes, ce n’était certes pas tout à fait un débat, mais une sorte d’échange de points de vue sur une situation arabe qui n’incite pas à l’espoir, et si, par moments, il leur est arrivé d’échanger quelques pointes, cela ne les a pas empêchés d’être d’accord sur l’essentiel: la nécessité pour le monde arabe de reprendre confiance en lui et en un destin commun. Il est d’ailleurs curieux que cet intéressant échange entre deux des plus grands noms du journalisme arabe ait eu lieu à l’Ordre des avocats de Beyrouth, mais comme l’a dit le bâtonnier Klimos, à l’origine de cette initiative, «journalistes et avocats se retrouvent pour défendre les libertés et les droits de l’homme». Initialement, M. Haykal devait d’ailleurs parler des droits de l’Homme dans le monde arabe, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’adoption par les Nations Unies de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, mais avec un humour assez particulier, le journaliste égyptien a expliqué que cette cause, aussi noble soit-elle, est politisée. «Les violations des droits de l’Homme — a-t-il dit devant un parterre impressionnant d’hommes politiques tels que les présidents Husseini, Hoss, Hafez, Solh et Wazzan, les ministres Eddé, Merhej et Sabeh, les députés Lahoud, Ziadé, Hamadé etc., de magistrats et à leur tête, le président du CSM, Mounir Honein, d’avocats et de journalistes — ne se limitent pas aux arrestations. Elles se font essentiellement par la confiscation de la volonté nationale. Ce qui nous amènera fatalement à évoquer la légitimité des régimes arabes et je ne crois pas que ce soit adéquat pour l’instant. D’autant que les Etats-Unis utilisent les droits de l’Homme comme une arme, selon leurs intérêts, alors que le racisme, l’embargo etc. sont autant de gigantesques violations des droits de l’Homme». La parole silencieuse M. Haykal a alors envisagé d’axer son intervention devant l’Ordre des avocats sur le thème suivant:«Une initiative possible dans un avenir possible». Il pensait ainsi évoquer la globalisation qui, selon lui, aurait pu se transformer en une sorte de gouvernement mondial unifié, responsable du développement de tous et de la protection de leurs droits. Mais, toujours selon lui, elle se contente de réduire les distances, «sans annuler la géographie, avec ses groupes humains particuliers, ou l’histoire qu’elle ne fait en fait qu’accélérer». Très critique envers la situation actuelle du monde arabe, le journaliste égyptien précise que, dans nos pays, la parole est devenue silencieuse, tant elle est stérile et stéréotypée. Selon lui, chaque jour, il y a dans le monde arabe 250 à 300 réunions, congrès, séminaires, débats, ateliers de travail ou «brainstorming», qui lui coûtent un million de dollars quotidiennement. Alors qu’il serait bon de se pencher sur des événements très importants qui se déroulent actuellement, tels que la course nucléaire entre l’Inde et le Pakistan. M. Haykal souligne d’ailleurs à cet égard la lenteur de la réaction officielle arabe, alors qu’au contraire, la rue arabe a réagi avec précipitation. Selon lui, le sujet mérite que l’on se penche longuement sur lui et c’est ce qu’il fait. D’une part parce que le sous-continent indo-pakistanais est très proche du Golfe et d’autre part parce que la possession par l’Iran et le Pakistan de la bombe atomique risque de modifier plusieurs données dans la région. M. Haykal ajoute que le fait de posséder la bombe atomique permet à un pays d’entrer dans «la cour des grands» et d’avoir un poids politique, même si l’usage de cette bombe est pratiquement exclu. Le danger, selon lui, pour les pays arabes, est de ne pas savoir tirer parti de ce qui se passe dans le sous-continent indo-pakistanais et de se laisser entraîner à prendre parti pour le Pakistan, sous prétexte qu’il possède «une bombe islamique». Pour le journaliste égyptien, aussi bien l’Inde que le Pakistan devront tôt ou tard frapper à la porte des Arabes du Golfe, à la recherche de sources de financement de leurs bombes et pour trouver une ouverture politique. M. Haykal a révélé que les Arabes ont déjà financé à l’époque de Zulfikar Ali Butto une partie de la bombe pakistanaise avec un milliard cent millions de dollars (ce qui a été qualifié de scoop par M. Tuéni). Selon lui, si Butto avait été exécuté sans jugement, c’est justement pour ne pas révéler ce secret et parce que le Pakistan voulait à l’époque se décharger d’une dette éventuelle envers les pays arabes. Toujours selon lui, les Etats-Unis ont d’ailleurs renoncé à réagir parce que ce qui leur importait, à l’époque, c’était de lutter contre le communisme... Aujourd’hui, M. Haykal estime que les Arabes doivent continuer à aider le Pakistan, tout en ne fermant pas leurs portes à l’Inde, afin de ne pas se laisser entraîner dans un conflit par lequel ils ne sont pas concernés. D’autant qu’Israël essaie déjà de profiter de l’inertie arabe face à l’Inde et au Pakistan en s’efforçant d’établir des ponts avec l’Inde, en attisant les racismes. Le pari arabe A cet égard, le journaliste égyptien rappelle que, depuis qu’ils ont misé toutes leurs forces sur les Etats-Unis, les Arabes estiment qu’ils n’ont plus à avoir une politique étrangère dans la région. Pourtant, il explique que le pari arabe sur les Etats-Unis n’a pas apporté les fruits escomptés. Selon lui, il a échoué officieusement avec la mort de Rabin et officiellement avec l’élection de Benjamin Netanyahu. Le journaliste en profite pour expliquer pourquoi l’élection de Netanyahu était prévisible, dans la logique de l’Etat hébreu qui ne pouvait construire sa légitimité que sur le fondement de la religion, bien qu’au départ le sionisme était un mouvement laïc. Le ministre Michel Eddé acquiesce énergiquement, très concerné par tout ce qui touche à l’histoire d’Israël. Finalement, selon le journaliste égyptien, la situation se résume ainsi: Israël est dans l’impasse à cause de sa légende, le monde arabe l’est lui aussi à cause de ses utopies et les Etats-Unis le sont à leur tour, puisqu’ils n’ont pas réussi à imposer leurs règles du jeu. Face à ce tableau noir, la seule issue est, selon lui, que le monde arabe reprenne confiance en son destin et cesse de glorifier l’esprit de défaite pour justifier son inertie. M. Tuéni approuve le diagnostic et ajoute que l’histoire ne pardonne pas à ceux qui se contentent «de rester dans son antichambre». Il se fait ensuite le porte-parole des questions du public, tout en se voyant obligé de les résumer faute de temps. Prié de commenter la résistance libanaise, M. Haykal répond que, selon lui, elle n’est pas le fait d’une partie, mais de toute une nation. Il raconte que Nasser lui avait dit un jour: «Je souhaiterais qu’une balle soit tirée chaque jour, du monde arabe vers Israël, en signe de résistance». Hélas, ajoute le journaliste égyptien, il y a eu plus de balles tirées à partir du Liban qu’à partir de la Palestine». Il est vivement applaudi et, en conclusion, M. Tuéni lui demande de parler du Liban. M. Haykal sourit et lance: «C’est vrai qu’il y a un effort de reconstruction. Mais le Liban, quoi qu’il fasse, est dans un moule arabe. Nous sommes tous dans un même train, mais nous n’avons pas de conducteur...» M. Tuéni rend ensuite hommage à cette «conférence de visionnaire» avant de céder la place au bâtonnier Klimos qui remet aux deux journalistes la médaille du souvenir de l’Ordre des avocats.
Samedi, dans la salle de conférences pleine à craquer de l’Ordre des avocats, Beyrouth et Le Caire sont redevenus, l’espace d’un débat, au centre de la pensée arabe. Les nostalgiques de la grande «oumma» ont écouté passionnément le journaliste et penseur égyptien Mohamed Hassanein Haykal, fidèle compagnon de Gamal Abdel-Nasser, aujourd’hui historien de cette époque...